• LA VIE ET L'OEUVRE DE Charles-Marie WIDOR

    Charles-Marie Widor

    La vie et l'œuvre de Widor

    Charles-Marie Widor naît à Lyon le 21 février 1844. Exceptionnellement doué pour les lettres, il fait des études classiques très poussées, en développant un intérêt certain pour le latin, le grec et les beaux-arts. Son père, professeur de musique, lui donne une formation musicale suffisamment solide pour attirer l'attention de Cavaillé-Coll. Sous la recommandation de celui-ci, Widor se rend à Bruxelles en 1863 pour devenir l'élève du célèbre Lemmens.

    A Bruxelles, le répertoire qu'il travaille se résume essentiellement à Bach. Auteur d'une méthode d'orgue, Lemmens lui inculque les principes rationnels d'une solide technique d'interprète. A l'aide des substitutions, des glissés et des croisements de doigts aux mains, et par l'usage du talon aux pieds, il parvient à obtenir un jeu parfaitement legato, procédés qui deviendront la base même de l'interprétation de tout le répertoire symphonique.

    Widor profite de son séjour à Bruxelles pour étudier la composition avec Fétis, professeur de contrepoint et de fugue au Conservatoire. A chaque semaine, une nouvelle fugue voit le jour. En outre, la similitude de certaines œuvres de Lemmens avec les premières compositions de Widor nous laisse penser qu'il a étudié la composition également avec son professeur d'orgue. Quoi qu'il en soit, ces études ont profondément marqué le jeune compositeur en façonnant son goût pour le contrepoint et l'harmonie classiques.

    Quatre ans plus tard, lorsque Widor se fixe à Paris, il s'impose d'emblée comme l'un des plus grands interprètes de l'orgue. Grâce au soutien de Cavaillé-Coll, il assurera l'inauguration de la majorité des instruments construits par le facteur d'orgue. En 1867, il participe au concert d'inauguration de l'orgue de Notre-Dame-de-Paris, en compagnie des noms les plus prestigieux: Franck, Saint-Saëns et Guilmant.

    L'événement le plus déterminant dans sa carrière d'organiste est, peut-être, sa nomination comme titulaire à Saint-Sulpice en 1870. Dès lors, il prend part activement à la vie artistique de Paris, tant comme interprète que comme compositeur. Son ballet La Korrigane, composé en 1880, est un véritable triomphe: plus de 150 représentations en seront faites de son vivant! Après avoir brillé à Paris, Widor est reconnu dans toute l'Europe. Jusqu'à un âge très avancé, il sera invité à diriger et à interpréter ses propres œuvres dans les grandes capitales.

    A la mort de Franck, survenue en 1890, Widor est nommé professeur d'orgue au Conservatoire de Paris. Par la force de son enseignement, il est à l'origine d'une véritable école d'orgue, dont le rayonnement sera sans égal au début du XXe siècle, comme en témoignera l'un de ses plus brillants élèves, Louis Vierne. Avec un pareil succès, tous s'attendaient à ce que le maître demeure longtemps en poste. Pourtant, six ans seulement après sa nomination, il choisit de changer d'orientation et devient alors professeur de composition au Conservatoire.

    Toutes ces activités pédagogiques, outre une carrière active de concertiste, ne gênent en rien la verve créatrice de Widor. En quatre ans, deux monuments voient le jour: en 1907, la Sinfonia Sacra (pour orgue et orchestre) et, en 1911, la Symphonia Antiqua (pour choeur et orchestre). Aujourd'hui oubliées, ces deux symphonies représentent, aux dires des critiques de l'époque, un sommet dans l'œuvre du compositeur. De plus, elles sont le pendant orchestral de deux grandes fresques destinées à l'orgue, les symphonies Gothique et Romane, elles aussi bâties sur des thèmes liturgiques. En effet, la Symphonia Antiqua s'élabore autour des thèmes grégoriens du Te Deum et du Lauda Sion. Quant à la Sinfonia Sacra, construite sur le choral allemand Nun komm der Heiden Heilan, elle accorde à l'orgue une telle importance qu'il faut presque parler d'un concerto. Ce rôle de premier plan tenu par l'orgue n'est sans doute pas étranger au choix des thèmes, car l'instrument est inévitablement associé à l'Église et à ses chants.

    A la même époque, deux événements importants consacrent Widor à la fois comme « musicien émérite » et comme «artiste d'une culture exceptionnelle » : il est élu membre de l'Académie des Beaux-Arts en 1910, puis en devient quatre ans plus tard le Secrétaire perpétuel, poste qu'il occupera jusqu'à sa mort. L'estime que lui témoigne ainsi l'élite artistique française vient sanctionner les vastes connaissances qu'il a acquises dans le domaine des beaux-arts grâce à la visite assidue des musées les plus prestigieux d'Europe. Prenant son rôle très au sérieux, Widor fait activement la promotion des artistes français, notamment en fondant la Casa Velasquez à Madrid et en établissant une maison d'études pour les artistes à Londres.

    Après la Première Guerre mondiale, Widor, âgé de 74 ans, réduit progressivement ses activités publiques. D'abord, ses concerts se font de plus en plus rares. Puis, en 1927, il se retire de la classe de composition du Conservatoire. Enfin, le 31 décembre 1933, il remet sa démission au curé de Saint-Sulpice, après 64 années de service. Conformément à ses propres vœux, c'est Marcel Dupré qui lui succède. Le 12 mars 1937, Widor meurt à son domicile suite à un « lent empoisonnement du sang », suivant le diagnostic de son ami le docteur Albert Schweitzer. Ses funérailles seront célébrées sobrement à Saint-Sulpice, alors que la maîtrise chantera la messe en grégorien. Son cercueil repose maintenant dans l'une des cryptes de l'église.

    Les dix symphonies pour orgue

    S'il faut voir en César Franck le fondateur de l'école d'orgue symphonique, c'est Widor, cependant, qui est considéré à proprement parler comme « le père de la symphonie pour orgue ». En 1872, il est le premier compositeur à donner à une œuvre d'orgue le titre de Symphonie - un titre qui a d'ailleurs soulevé des discussions fort passionnées. « Pourquoi avoir choisi ce titre, disait-on, réservé d'ordinaire aux compositions d'orchestre ? » Dans la préface de ses Symphonies, Widor répond à ces objections en se défendant bien d'écrire indifféremment pour orgue et pour orchestre. L'orgue symphonique ne cherche pas à imiter l'orchestre. Mais, pour la première fois de son histoire, ses possibilités expressives de nuances et de timbres, de même que sa façon de graduer la masse sonore lui permettent, de ce fait, d'être comparé à l'orchestre. En composant ses Symphonies, Widor répond à l'appel lancé par Cavaillé-Coll: « Tel est l'orgue moderne, essentiellement symphonique, dit-il. À l'instrument nouveau, il faut une langue nouvelle. »

    Par son prestige, le titre Symphonie impose tout de suite à l'esprit l'image d'un instrument de vastes dimensions. Le grand orgue auquel pense Widor en composant ses symphonies est, bien sûr, celui de Saint-Sulpice: « Si je n'avais pas éprouvé la séduction de ces timbres, le charme mystique de cette onde sonore, je n'aurais pas écrit de musique d'orgue », écrit-il. Ce magnifique instrument, avec près de cent jeux, permet à Widor de faire preuve d'une grande inventivité dans le choix des registrations et de favoriser l'ampleur dans son expression.

    Les quatre premières symphonies, opus 13, ont été publiées deux ans après la nomination de Widor à Saint-Sulpice, en 1872. A la manière d'une suite, les divers mouvements qui forment ces symphonies n'ont, à l'origine, probablement pas été écrits en vue de former un tout. Sans doute quelques essais de jeunesse ont-ils été réunis, dans un ordre cohérent, à d'autres pièces nouvellement composées. Marcel Dupré affirme que l'Andante cantabile (le troisième mouvement) de la Quatrième Symphonie est tiré d'un concerto pour piano, écrit en 1867. En outre, les mouvements où règne une grande rigueur contrapuntique, de même que les trois fugues d'école que l'on retrouve dans l'édition originale, sont peut-être des exercices que Widor avait réalisés auprès de Fétis et de Lemmens à Bruxelles. De toute façon, ils témoignent de la grande influence que ces professeurs ont exercée sur lui, notamment par le souci de remettre à l'honneur le contrepoint « classique », en conformité avec une tradition qui se réclame de Bach.

    En regard des quatre premières Symphonies, les quatre suivantes démontrent une plus grande maturité artistique. Tirant profit de ses contacts avec les grands musiciens qui séjournent fréquemment à Paris, Liszt en particulier, Widor délaisse le contrepoint rigide au profit d'une écriture nettement plus homophonique et plus mélodique. « Ce n'est plus le Bach de la fugue que nous invoquons, c'est le mélodiste pathétique », écrira l'auteur dans l'Avant-propos de ses Symphonies, en 1887. Il délaisse un certain conformisme « classique » pour devenir plus inventif dans ses harmonies et dans ses formes. En outre, il approfondit sa pensée symphonique en assurant une plus grande unité entre les mouvements. Dans les VIIe et VIIIe Symphonies, son écriture parvient à un degré de complexité tel que les possibilités techniques de l'orgue et de l'interprète sont poussées à un niveau qui n'avait jamais été atteint, et au-delà duquel il ne lui semble plus possible de se hisser.

    En juillet 1894, Widor écrit: « Je finis ces jours-ci une neuvième symphonie d'orgue ». Surnommée Gothique à cause de sa dédicace à Saint-Ouen - évêque du VIIe siècle, dont la mémoire a été immortalisée par une splendide église gothique érigée à Rouen -, la IXe Symphonie a été créée par l'auteur à l'occasion de l'inauguration de l'orgue Cavaillé-Coll de cette église en 1895. Poussant plus à fond son souci d'unité entre les mouvements, Widor écrit une œuvre de forme cyclique, où la mélodie grégorienne du Puer natus est unifie l'œuvre en apparaissant dans les deux derniers mouvements. Les nombreux canons ainsi que l'écriture fuguée que l'on y retrouve marquent un retour aux idéaux de jeunesse du compositeur. Parvenu à la maturité de son style, il réussit maintenant, dans son contrepoint, à se dégager de l'académisme de ses premières symphonies.

    Au cours de la dernière année du XIXe siècle, Widor achève une œuvre révolutionnaire qui préfigure le XXe siècle: la Xe Symphonie pour orgue. Appelée Symphonie Romane à cause de sa dédicace à Saint-Sernin - premier évêque de Toulouse, dont la basilique romane porte son nom -, elle est toute entière écrite sur le thème du Haec dies, graduel de la messe du jour de Pâques. « Pour imposer à l'attention de l'auditeur un thème aussi fluide. un seul moyen : c'est de le répéter sans cesse », affirme-t-il.

    Dans ses mémoires, Marcel Dupré relate la genèse difficile de l'œuvre: « Le maître nous a souvent raconté que ce thème resta plus d'un an sur sa table avant qu'il ne se décidât à le développer ». L'Avant-propos de cette symphonie nous donne de précieuses indications sur les conclusions auxquelles parvient Widor au terme de cette longue gestation: « L'indépendance rythmique des chants grégoriens s'accomode mal de l'absolutisme de notre mesure métronomique. Est-il rien de plus délicat que de transcrire en signes modernes les vocalises d'un graduel ou d'un Alleluïa? Alors on en vient aux explications parlées et aux commentaires: Quasi recitativo , rubato , espressivo , a piacere, etc » Une des grandes nouveautés de cette symphonie réside dans cette volonté de respecter la nature rythmique du grégorien. Mais, comme le précise l'auteur, « il ne s'agit ici, bien entendu, que de l'interprétation d'un texte grégorien présenté en solo; tel l'exposition de cette symphonie [...] Point n'est besoin d'ajouter que, lorsque le thème est repris dans le réseau symphonique et devient partie intégrante de la polyphonie, on doit l'exécuter strictement en mesure sans atténuation d'aucune sorte, avec calme et grandeur. »

    Après avoir transformé le langage de l'orgue par une virtuosité flamboyante, Widor, au terme de sa vie, se tourne vers un style empreint d'intériorité, avec une remarquable économie de moyens. En préservant la liberté rythmique et l'harmonie modale du chant grégorien dans sa dernière symphonie, il laisse présager la venue de L'Orgue mystique de Charles Tournemire. En ce sens, on peut voir en lui le précurseur des compositeurs pour orgue du XXe siècle. Chercheur assidu, il s'inscrit magistralement dans le renouveau musical de la France à la fin du siècle dernier, tout en annonçant le prodigieux développement de l'orgue au XXe siècle.

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