De précieuses broderies se déploient également dans la tendre aria de Phoebus dans la cantate BWV 201 Der Streit zwischen Phöbus und Pan entendue ici.
Un des aspects du génie de Bach réside bien dans ce subtil art de l’ornementation qu’il possédait au plus haut point, utilisant toutes les possibilités offertes, souvent largement puisées dans l’écriture polyphonique, héritées des anciennes diminutions. La subtilité, c’est aussi de savoir les mêler, en jouer, pour susciter l’émotion la plus poignante, comme dans l’ariaErbarme dich de la Matthäus Passion, où les « Vorschläge » ont une particulière importance dans le dialogue bouleversant entre le violon et la voix d’alto.
Appogiatures anormalement longues, trilles, trilles avec Nachschlag, dissonances évoquent magistralement les tourments de Pierre et son désespoir et font de cette aria un des sommets de l’oeuvre du Cantor.
L'on n' a certes pas manqué de reprocher à Bach l'utilisation de ces procédés, identiques aux formes employées par les compositeurs d'opéra. L'on sait le scandale provoqué par la création de la Passion selon Saint Mathieu. A Leipzig: "Zu theatralisch!" Trop théâtral ! En réalité, il est évident que cette oeuvre n'est pas un opéra, mais un acte de dévotion, tout à la gloire de Dieu. Déjà, pour Luther, il n'y avait aucune différence fondamentale entre musique religieuse (geistliche) et profane (weltliche). La composition musicale s'apparente donc à la quête d'un ordre caché, d'une harmonie secrète, en un mot, divine. Une foule d'ouvrages philosophiques véhiculent ces théories, issues du XVII° siècle, et Bach en est imprégné. Dès
lors, ces "artifices", ces ornements montrent simplement qu'une multitude de chemins permettent d'accéder à Dieu. Pour Luther, pour Bach, la musique est le seul art qui ne soit pas idolâtre. Elle est naturellement porteuse de figures : Bach ne décrit donc pas, il"figure", réalisant ainsi une inversion de sens entre musique et verbe. Même sans parole, la musique devient éloquente et, par l'utilisation des figures ornementales, Bach s'est élevé au niveau théologique, renvoyant aux Pères de l'Eglise et à la tradition médiévale.
BIBLIOGRAPHIE
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PIRRO André, L'Esthétique de J.S. Bach, Genève, 1973.