Le XVIIè siècle accorde une place fondamentale aux mathématiques, qui intéressaient tout autant les philosophes ou les physiciens que les mathématiciens eux-mêmes. Descartes alla même jusqu'à construire un mathesis universalis. Introduire un ordre rigoureux en musique avait toujours été l'intention des savants de tous les temps. Il est donc naturel que ces idées soient reprises au XVIIè siècle tout imprégné de la pensée antique, néo-platonicienne ou néo-pythagoricienne. En 1633, Marin Mersenne publie son Harmonie Universelle, Descartes, à son tour fait paraître un Abrégé de Musique. A peu près à la même époque, Gassendi compose une Initiation à la Théorie de la Musique, dont le manuscrit ne sera découvert qu'après sa mort. A la recherche de la perfection, Bach, particulièrement dans les dix dernières années de sa vie, s'est tourné de plus en plus vers des expériences spéculatives héritées de cette tradition rhétorique et scientifique, encore très vivace à l'Age des Lumières où le fondement de la musique reste le nombre, le numerus, considéré comme un instrument de l'expression, mais aussi comme symbole.
De nombreux compositeurs prirent l'habitude d'insérer dans leurs compositions des formules hermétiques, reflets des mystères de l'Univers. Mais c'est le génie de Bach d'avoir su donner au plus haut point un contenu spirituel à ces spéculations, expressions d'un ordre nouveau de la musique. Bach explora tous les domaines de l'écriture musicale, sans barrières ni frontières, comme s'il voulait, dans son œuvre reconstituer toute l'histoire de la musique. Tout l'itinéraire de Bach est marqué par la "Théorie des Passions", système de figurae et de topoi, hérité de la rhétorique et codifié par le savant jésuite Athanasius Kircher (1601-1680) dans son monumental traité Musurgia Universalis sive Ars Magna consoni et dissoni (1650) repris au siècle suivant par Mattheson : il fallait que les sons, ou les phrases musicales, reproduisent les différents sentiments ou "passions". Ainsi naquit toute une rhétorique musicale, formant une sorte de lexique sonore dont Bach usa largement. L'on remarque que toutes les manières (ou styles) répertoriées par Kircher, auxquelles correspondent des formes ou des situations déterminées sont présentes dans les œuvres de Bach. Ce concept de "passion" implique que toute œuvre doit correspondre à une structure bien déterminée, à un fundamentum mathematicum essentiel, dans lequel l'ornementation n'est pas un attribut secondaire, mais reflète au contraire l'harmonie divine.
HARMONIA MUNDI
"Le reflet multiple des astres joue la mélodie et la nature sublunaire danse sur cette musique". Extrait de l'ouvrage de Kepler Harmonices Mundi, cette phrase est le reflet de théories extrêmement répandues au XVIIe siècle, mais issues de l'Antiquité. En réalité, la théorie de l'harmonie des sphères remonte au philosophe grec Pythagore, pour qui l'univers entier se définissait en termes d'harmonie et de nombre.
D'après lui, l'âme microscopique et l'univers macroscopique sont construits selon des rapports de proportion idéaux qu'on peut ramener à une suite de sons. L'on calculait la hauteur des différentes notes planétaires sur l'échelle musicale d'après le temps que les planètes mettaient à parcourir leur orbite et on mettait les distances en rapport avec les intervalles entre les tons. Kepler compliqua encore ce système en décernant à chaque planète une suite de sons propres. Quant à Kircher, qui représentait Dieu en constructeur d'orgues, il divisait les différentes zones du ciel et de la Terre en octaves, dont les sept degrés englobaient le Monde, puisque le chiffre sept réunit la Sainte Trinité et les quatre éléments.
.
Kircher dans sa "Musurgia Universalis", représente Dieu en tant que constructeur d'orgues et qu'organiste, et il y met en parallèle les six premiers jours de la création en rapport avec les six registres de l'orgue.
Tout comme le fait Fludd, Kircher divise les différentes zones du ciel et de la terre en octaves. L'art de l'organiste consiste à mettre les quatre éléments en accord.
Lorsque l’on parle des compositeurs et des nombres, il est généralement entendu que l’on parlera de J.S. Bach. Sans déroger à la règle, nous noterons que l’auteur de l’art de la fugue n’a jamais rien écrit ni expliqué qui puissent laisser penser que ses oeuvres étaient basées sur des combinaisons mathématiques.
Cependant à son époque déjà le Cantor de Leipzig était reconnu pour écrire de la musique extrêmement savante. Si la production musicale de ses contemporains peut être analysée assez aisément, la musique de Bach résiste à une simplification trop forte et parfois même surprend par les choix qui sont réalisés.
Il y a dans cette façon de garder le savoir faire un mystère, on pourrait penser un secret propre au corporatisme.
Dans ce sens Bach ne dévoile rien et laisse à ceux qui en sont capables le soin de découvrir.
Dans le tableau de Haussmann, reproduit sur la figure 8, est significatif puisque l’on y voit Bach tenant à la main du papier à musique où l’on peut lire trois mélodies dont on sait qu’elles sont destinées à l’écriture d’un canon à 6 voix.