• BEAUX LIVRES en PDF

    BEAUX LIVRES en PDF

    Bonjour Chers visiteurs, 

    Voici des livres en PDF répertoriés de par leur valeur authentique d'édification et résonnera au niveau de l'âme. 

    Certains sont totalement libérés de tout enfermement à des courants divers. D'autres le sont mais offrent des éléments de nourritures spirituelles expurgés de l'influence de leurs correcteurs (pour servir une religion de pouvoir) pour ceux qui en ferons la par des choses ; ils y découvrirons des aspects purs et vrais. Car, il fut des temps où les libertés étaient restreintes. D'autres livres peuvent avoir mauvaises réputations ou qualifiés de sciences fictions alors qu'ils recèlent des éléments de réels vécus. Le choix, par rigueur, serons la version authentique originales sans pages ou chapitre manquant. Dans le cas où cela arriverait : la page sera ajoutée ou le chapitre manquant.

    C'est ainsi que le choix de cette rubrique "Livre en PDF" s'est choisie.

    Bonne lecture.

    Liste des BEAUX LIVRES

    1. L'INITIE PAR SON ELEVE : Chapitre I à VII

    2. L'INITIE PAR SON ELEVE : Chapitre VIII à XIV 

    3. L'INITIE PAR SON ELEVE : Chapitre XV à XVIII indiqué au cours de ces pages.

     

    Lobsang Rampa

    Mathématique et Musique

    Le mur de lumière de Nicolas Teslas

    1. Un livre unique et particulier 9 à 12

    2. Un livre unique et particulier 13 à 16

    3. Un livre unique et particulier 17 à 20

    4. A votre départ, je vous avais dit que je serai là

    5. Jast et Emile

    6. LE TEMPLE DU SILENCE

    7. Jast et Neprow

    8. La foi seul attribut à générer des prodiges ?

    9. Le temple de la guérison

    10. La force motrice universelle

    11. Suite de l'aventure

    12. Jast Emile et d'autres

    13. Paresse spirituelle d'un aubergiste

    14. Sur la conscience aidée

    15. La vision des rayons

     

    16. Dans les himalayas rassemblement des maîtres

    17. Le temple de la croix en T

    18. Paroles et voyage

    19. Un simple aperçu

    20. La conscience de Dieu l'Infinitude

    21. La statuette animée

    22. Dans le désert de Gobi mulltiples aventures

    23. Trésors et repas miraculeux

    24.  L'ancien empire Uigour Que serait le rôle de Jésus

    25. La petite fille et Marie

    26. Le pouvoir des maîtres canalisés

    27. Continuité du voyage avec Jast et Emile

    28. Prières et pensées de Jésus dans la vie des  maîtres

    29. Thérèse d'Avila et Yogananda. Révision du "Je suis"

    30. Une prière en pleine bataille

    31. La couronne où il en est parlé dans la vie des maîtres

    32. Un arrêt sur un site à propos de Baird Spalding

    33.  Où il est question du soleil central et d'une partie des planètes

    34. Celui qui me suit

    35. Les tablettes parlantes

    36. Voyages de sites géographiquement précisés

    37. Du mont Chomolhari, l'Everest et le temple de Paro

    38. Les grandes forces irrésistibles

    39. Les grandes roches qui prononçaient le mot

    40. Monsieur Weldom

    41. Le rishi au tigre

    42. Discours d'un rishi

    43. L'homme dans sa divinité

    44. XIXème siècle : journaux de voyage russe

    45.

    46.

    47.

    48.

    49.

    50.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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    Voici l'introduction de ce livre.

    Introduction

    L'histoire - si je puis l'appeler ainsi - du personnage que je vais évoquer devant vous, est une histoire véritable.

    Son héros a bien réellement existé, quoique, comme je l'explique plus loin, je sois contraint, pour plusieurs raisons, de cacher son identité. Si je souligne le fait de son existence, c'est que bon nombre de gens pourraient mettre en doute la possibilité d'atteindre le niveau de perfection morale qu'il avait incontestablement atteint et me regarder comme l'auteur d'une fiction plutôt que d'un récit véridique.

    D'ailleurs, l'homme dont je vais parler n'est pas le seul qui soit parvenu à un si haut degré d'évolution spirituelle. Non seulement beaucoup d'êtres comme lui vivent certainement parmi nous à l'heure présente, mais encore, si l'on ajoute foi aux documents de l'Histoire, il y en a eu dans le passé des centaines d'aussi grands, et même de plus grands que lui.

    Notre siècle « de lumière », il est vrai, cherche à nier ou à rabaisser le pouvoir surprenant de ces hommes ; mais les penseurs sérieux qui se sont efforcés de percer le voile de la connaissance superficielle en viennent à conclure que le vieux truisme « Il n'y a pas de fumée sans feu » s'applique opportunément à ce genre de faits. Au surplus, les dénégations et objections de notre prétendue « civilisation » ne sont pas le signe de la vraie culture, mais celui de l'ignorance.

    Nous devons tenir compte aussi de la contribution qu'apporte, à cet égard, le Roman de tous les temps. De Kalidasa (Poète sanscrit du 1er siècle av. J. C. ; auteur de Sakountala et d'Ourvaci.) aux plus récents ouvrage de fiction, nous voyons des récits, des drames et des romans traitant d'êtres mystérieux et merveilleux, presque aussi supérieurs à « l'homme de la rue » que l'âme humaine est supérieure à l'animal.

    Ceci nous oblige à nous demander si l'imagination du génie créateur ne trouve pas sa source quelque part dans la Vérité.

    Tous ces poètes, dramatistes, écrivains, ne feraient-ils que tisser le réseau fantaisiste de la Fable - et rien au delà? Si tel était le cas, pourquoi persisteraient-ils, malgré le ridicule dont les couvre la science, à nourrir l'esprit du public de mensonge et d'irréalité?... La réponse s'impose.

    Consciemment ou inconsciemment, ils nous révèlent la vérité, leur sens subjectif étant averti de faits que leur sens objectif ignore encore. Oui, les Adeptes, les Sages, les Maîtres existent, et celui qui sait comment les chercher peut les trouver et se convaincre, une fois pour toutes, de leur réalité. Mais si j'ai conclu que, dans son fond, le roman repose sur la vérité, il reste qu'il est inexact dans le détail, et susceptible d'induire en erreur, puisqu'il mélange l'allégorie au fait sans tracer entre eux nulle ligne de démarcation.

    Et, d'abord, les grands Adeptes de la Science spirituelle ne sont pas tout à fait aussi mystérieux que les écrivains de la fiction voudraient bien nous le faire croire.

    Si deux de ces Maîtres (ou Mahatmas, ainsi qu'on les nomme souvent) résident, à ma connaissance, dans leurs lointaines retraites du Tibet, ce serait une erreur de croire que tous suivent leur exemple.

    Je sais que plusieurs maîtres vivent actuellement en Angleterre, en Amérique, et qu'il y en a dans presque tous les pays du monde. Ils ne restent pas toujours au même endroit, mais vont d'un lieu à l'autre comme de simples mortels, parfaitement humains et parfaitement normaux dans leur apparence.

    Dans leur apparence, seulement, mais non au jugement de ceux qui ont acquis une sagesse profonde, par un commerce étroit avec l'esprit et les exceptionnelles facultés de ces hommes.

    Pour celui qu'une rencontre fortuite met en leur présence, rien, à part leur remarquable air de santé, de calme, de dignité et de force, n'éveillera le soupçon qu'ils possèdent des pouvoirs dont le commun mortel ignore l'existence.

    Ne se vêtant pas d'habits excentriques, ne vivant pas dans des châteaux hantés, ces hommes, loin de vouloir exciter la curiosité ou l'admiration d'autrui, recherchent avant tout la simplicité.

    Beaucoup d'entre eux affectent même quelque vice anodin - comme de fumer, par exemple - afin de se rendre aussi normaux que possible aux yeux du monde. Mais ceux qui, ayant les qualifications nécessaires, viennent à eux pour chercher la sagesse occulte, ont une tout autre impression: ils ont la révélation - rigoureusement cachée à tout autre - de ces merveilleuses personnalités.

    Or, pour trouver, il est absolument essentiel de savoir comment chercher. Seul celui qui accepte cette nécessité découvrira la Vérité, une vérité qui est la quintessence même du merveilleux. Le profane, ne sachant que chercher, ne trouve rien, ou trouve fort peu de chose ; en sorte que, pour se faire une idée exacte d'un Adepte ou d'un Initié, il faut nécessairement s'en référer à son élève ou disciple, et à lui seul - car sa soif de sagesse occulte lui a conféré le droit de connaître les Maîtres tels qu'ils sont réellement, avec toutes leurs divines attributions.

    Essayons d'imaginer un être humain exempt de toutes les faiblesses du simple mortel, au-dessus de l'égoïsme, de la vanité, de la jalousie, de la colère, de la haine et de tout autre vice analogue ; un être ayant, en outre, une conscience de la vie si intense, si infiniment réceptive, qu'on pourrait la définir par le mot de superconscience.

    Cette superconscience implique nécessairement la sensation continuelle d'une Félicité infinie et d'un Amour infini, jointe à une sagesse et à un pouvoir suprême.

    Ainsi l'Adepte, qui a la connaissance de lois de la Nature non encore révélées à toute l'humanité, est capable de manier ces forces naturelles d'une façon que l'ignorant ne peut imaginer.

    Or, s'il se servait de ces forces en présence de non-initiés - ce qu'il se gardera bien de faire - ceux-ci, dans leur incrédulité et leur ignorance, taxeraient ces manifestations de supercheries et leur auteur de sorcier, voire d'imposteur.

    Tant il est vrai que l'ignorant rapporte tout phénomène qu'il ne peut comprendre aux étroites notions dont son esprit dispose. Quant à l'aspect physique de l'Adepte, il est celui d'une imperturbable santé et, en bien des cas, d'une jeunesse étonnante : l'Adepte demeure dans la force de l'âge.

    Ayant choisi de travailler au bien de l'humanité et jugeant qu'un organisme affaibli est impropre à cette œuvre, il fait agir sa science occulte sur les molécules de son corps physique et prévient ainsi les attaques de l'âge ; il meurt finalement quand il a décidé de mourir - pas un jour avant.

    Une autre source de jeunesse et de parfaite santé, c'est son entière libération de l'anxiété, sa totale immunité à l'égard des émotions qui bouleversent, contribuent à user le corps et en compromettent l'équilibre. Ayant en lui l'éternelle Paix, les agitations de la vie lui paraissent aussi puériles que les tourments de l'enfant à l'homme adulte.

    Mais, pénétré de l'Amour parfait, il peut sympathiser avec autrui comme une mère sympathise avec son enfant: dans chacun de ces petits chagrins qu'elle sait, cependant, devoir être passagers. La sympathie, pour avoir sa vraie valeur, doit être exempte de crainte et d'impressionnabilité ; aussi la calme et ferme compassion d'un Maître est-elle la plus précieuse, la plus réconfortante qu'on puisse imaginer.

    Sa totale absence de crainte dérive de la Connaissance, seule base véritable de toute consolation, seul baume adoucissant au cœur saignant de l'Humanité ignorante et souffrante. J'ai tenté ce portrait imparfait d'un Adepte, dans l'espoir qu'il aiderait mes lecteurs à croire à la véracité de mon livre et les convaincrait de ma sincérité.

    Qu'ils sachent qu'à mes yeux, la vérité - qu'elle soit étrange ou naturelle - est plus romanesque que la fiction. Si j'avais réussi, dans les pages qui suivent, à évoquer tant soit peu l'atmosphère merveilleuse émanant de la personnalité de mon Maître, je n'aurais pas - et c'est tout ce que puis espérer - totalement manqué mon but. Ce n'était pas chose aisée, puisque je ne pouvais me servir de ces artifices à grand fracas que la fiction appelle à son aide.

    Un Adepte ou un grand Initié diffère tellement dans sa grandeur, d'un autre « grand homme » ; il se défie tellement de la renommée, de tout ce qui éblouit, que le seul moyen d'apprendre quelque chose de lui, c'est de l'approcher personnellement, au physique et au moral.

    Dépourvu de vanité, redoutant toutes les formes de curiosité, il s'ingénie non pas à attirer, mais à détourner de lui l'attention. Lorsqu'il vit hors du monde, c'est pour méditer dans une entière solitude ; lorsqu'il vit dans le monde, c'est pour se dissimuler dans la foule.

    La suite ici :

    Lien : http://www.parolesvivantes.com/appels_livres/initie_1.pdf

    Bonne lecture à vous qui passez par ici.

     L'initié par son élève.

    Chapitre I

     

    Ce sont 4 ouvrages  admirables. Voici les 4 références internet mais toutes librairies vous les procurerons.


    L'Initié.

    Tome I, Auteur anonyme mis réellement Cyril Scott (1879 – 1970)
    L'Initié dans le Nouveau Monde. Tome II
    L'Initié durant le Cycle obscur. Tome III
    Vision du Nazaréen. Tome IV de la série L'Initié

    L'élève décrit, dans ce récit autobiographique, l'action qu'exerce, dans la haute société de Londres du début du XXe siècle, un grand maître de la spiritualité, grâce à son rayonnement moral et ses pouvoirs psychiques.

    Les trois premiers tomes de la série témoignent de la rencontre et de la relation de l’auteur avec cet «Initié», les expériences mystiques et les moments merveilleux, emplis de grâce divine, vécus auprès du Maître spirituel, ainsi que les périodes poignantes pleines de difficultés qu’il lui faut affronter, et dépasser.

     

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    CHAPITRE II.

    L'homme lui-même

    J'ai donc assumé une tâche qui n'est pas facile, celle d'écrire mes impressions sur un homme qu'on eût pu, en le comparant à ses contemporains, tenir pour la réfutation vivante du fameux lieu commun: « Personne n'est parfait ici-bas ».

    Cette formule, inexacte comme tant d'autres, mon livre essayera d'en démontrer l'impropriété.

    Justin Moreward Haig - dont je ne suis pas autorisé à révéler le véritable nom - était-il ce que les occultistes nomment un Adepte?

    Je ne saurais le dire car, honnêtement, je l'ignore. Il était, sur tout ce qui le touchait, de la plus extrême réserve. Je sais, en revanche, que si l'on pouvait dégager le mot « saint » de trop nombreuses et fâcheuses associations d'idées, et que l'on pût faire de même pour le mot « surhomme », J. Moreward Haig devrait être baptisé de l'un de ces deux noms, ou de tous les deux à la fois.

     

    En vérité, mes relations avec cet homme admirable m'ont prouvé que l'on peut être un saint sans faire montre d'une dévotion touchant à l'exagération, et qu'il peut exister un surhomme qui ne soit pas possédé de l'arrogante soif de domination caractéristique de l'idéal nietzschéen. Toutefois, il est une chose sans laquelle un surhomme ne saurait se former, et c'est la spiritualité.

    Bien que la sagesse-religion de Justin Moreward Haig différât autant de la piété d'un ecclésiastique ordinaire que le génie diffère d'une intelligence médiocre, vouloir contester qu'il eût une religion à lui serait méconnaître grossièrement un certain côté de sa personnalité, presque unique en son genre. Certaines personnes irréfléchies ne se rendent pas compte que l'ennui résulte de l'imperfection, et non de la perfection: elles s'imaginent qu'être parfait est synonyme d'être ennuyeux. Il serait à peu près aussi juste d'affirmer que le blanc est le noir ou que le nirvana (la félicité éternelle) est le sombre ennui de l'enfer perpétuel.

    Moreward, tel que je l'ai connu, n'était rien moins qu'un personnage ennuyeux !

    Trop imprévues, pour cela, s'avéraient ses opinions et la plupart de ses actions. Ce n'était pas non plus un homme qui vous entretenait uniquement de sujets poétiques: sa vie même était un continuel poème - le poème de la plus haute pureté morale, celle que le plus exceptionnel des humains atteint rarement. Vivre à ces hauteurs-là, et sans apparent effort, c'est réaliser le plus inattendu des prodiges.

    Si réel et vivant que fût Justin Moreward Haig, je dois prévenir le lecteur que, n'étant pas le Boswell d'un moderne Johnson, ni le Watson d'un Sherlock Holmes, je n'ai jamais vécu sous le même toit que lui - sauf incidemment une nuit ou deux. Je ne saurais donc le suivre dans toutes ses aventures - s'il en eut.

    Tout ce que je me propose, c'est de rapporter ses idées, et la manière dont il les vivait. Je ne puis retracer sa biographie, pour la simple raison que je l'ignore, tout en soupçonnant qu'elle doit être des plus remarquables. Quant à la description physique de l'homme, on m'a prié d'être avare de détails. Je pense, d'ailleurs, qu'il vaut mieux laisser le champ libre à l'imagination de mes lecteurs, qui se formeront une image de cet être rare d'après ce qu'ils apprendront de ses actes et de ses paroles. Il n'est pas très difficile d'imaginer le physique d'une personne d'après ce que l'on sait déjà de son moral.

    Si je vous présente ici un homme qui n'a jamais cédé à la folie de l'anxiété, et qui fut modéré en toutes choses, vous ne manquerez pas de supposer qu'il devait avoir l'air en excellente santé. Si je vous dis ensuite que je ne l'ai jamais vu affligé, à moins que ce ne fût du tranquille chagrin de la parfaite compassion, il ne vous sera pas difficile d'en conclure que son visage était l'image du bonheur serein, de cette beauté d'expression qui correspond invariablement à un état d'esprit entièrement paisible.

    Quant au côté psychique de sa personnalité, que ceux qui pensent que les facultés occultes ne sauraient exister sans accompagnement d'hystérie et de tous les signes extérieurs de cette affection, se débarrassent d'une conception aussi erronée. Les facultés psychiques, pour inspirer une absolue confiance, doivent - sauf en des cas exceptionnels - s'accompagner d'un parfait équilibre nerveux.

    Justin Moreward Haig, entré dans ma vie il y a une vingtaine d'années, s'est éloigné de moi dix ans plus tard, pour aller travailler sur un autre continent. Quoiqu'il m'eût, alors, autorisé à écrire 4 ces impressions, il me pria d'éviter toute description pouvant trahir son identité et celle des êtres auxquels il était associé. Me trouvant ainsi très limité, je ne puis que laisser aux lecteurs le soin d'identifier ce remarquable personnage si jamais, au cours de leurs déplacements, ils ont rencontré quelqu'un qui lui ressemble en Sagesse et en Amour.

    2. L'homme lui même

     

    J'expliquerai encore comment ces impressions ont été écrites, sans quoi mes lecteurs pourraient m'attribuer une mémoire fabuleuse, que je ne prétends pas posséder. Quand je compris que j'étais entré en contact avec un être d'exceptionnelle sagesse - du moins à mes yeux - je sténographiai au jour le jour un grand nombre de ses réflexions.

    Mais je fus fréquemment obligé de compter sur ma mémoire, ne pouvant pas exhiber un carnet de notes en présence d'autres auditeurs. Il est donc juste de prévenir le lecteur que mon souvenir peut m'avoir une ou deux fois trompé et fait mettre, dans la bouche de Moreward, des mots qu'il n'a pas prononcés. C'est pourquoi j'ai donné à cet ouvrage le titre modeste d'Impressions, de préférence à tout autre nom plus présomptueux. Quant à mon anonymat, il est sans doute superflu de m'en excuser.

     

    En révélant mon identité, je risquerais fort de trahir celle de mon « héros ». D'ailleurs, dans une œuvre de philosophie morale, l'élément personnel est non seulement inintéressant, mais peut devenir un obstacle, par le fait qu'aucun être humain n'est tout à fait sans ennemis. Bien souvent, j'ai entendu cette remarque: « Si tel ou tel livre est écrit par cet individu-là, je ne le lirai certes pas! » - On sent donc, par là, combien tout élément personnel est désavantageux. Un homme qui écrit exclusivement pour ses amis et non pas tout aussi bien pour ses ennemis, est loin d'être un philosophe authentique: car toute philosophie digne de ce nom a manqué son but, si elle n'apporte avec elle la Paix.

     

    CHAPITRE III :

    Le sage innocent

    On se tromperait fort en croyant que le romanesque ne peut découler que d'un enchaînement de circonstances spécifiquement romanesques, car un certain genre de romanesque jaillit du plus total imprévu.

    Découvrir un grand sage qui vit sur le versant solitaire d'une montagne, c'est trouver le romanesque prévu, évident à tous les yeux ; mais rencontrer ce grand sage dans le plus mondain des salons de Londres, c'est bien là le romanesque de l'inattendu!

    La montagne solitaire serait un cadre naturel à ce tableau, tandis que le frivole salon de Londres lui confère un relief très spécial: c'est là toute la différence.

     

    Comment Justin Moreward Haig se trouvait, ce soir-là, dans le salon d'une des femmes les plus mondaines de Londres, c'est ce que je dévoilerai plus loin. Qu'il suffise de dire que c'est à l'hospitalité de Lady Eddisfield que je dois la plus précieuse amitié de ma vie. Aucun détail de cette étrange rencontre n'est sorti de ma mémoire. A la fin d'une séance musicale des plus médiocres, je me trouvai encombré d'une compagne du type le moins sympathique - une malchance due à cette regrettable habitude qu'ont les maîtresses de maison d'assortir leurs hôtes par couples, sans le moindre souci de savoir s'ils se conviennent.

     

    C'est ainsi que nous nous trouvâmes assis, elle et moi, à l'une des tables rondes où l'on servait le souper en compagnie de quatre autres convives: l'homme que j'ai nommé dans cet épisode le sage Innocent, et trois femmes qui me frappèrent, à ce moment-là, comme une trinité de superlatifs. L'une me parut la plus corpulente, la seconde la plus gigantesque, la troisième la plus noire de teint - négresses à part -de toutes les femmes que j'ai rencontrées.

    Cet homme disait aux trois dames, qui se penchaient vers lui avec une vive curiosité, des choses qu'elles semblaient regarder comme pleines d'une haute signification, et qui m'apparurent seulement extraordinaires, tout d'abord. « Considérer les choses d'un certain point de vue, disait-il, c'est employer un remède prophylactique contre toute espèce de chagrin. (Je crus comprendre que l'une de ces dames entendait pour la première fois le mot prophylactique). Acquérir ce point de vue juste, c'est le but de toute pensée ayant quelque maturité. Or, selon le point de vue que je défends, la douleur morale ne résulte que d'une sorte d'infantilisme: une âme adulte serait aussi incapable de souffrir de ce dont vous venez de me parler qu'une grande personne le serait de la destruction d'une poupée. »

    « Vous entendez, je suppose, par une âme adulte, un philosophe? » demanda la dame grasse. « Précisément. Un sage, un saint ou un philosophe. En d'autres termes, un être dont l'esprit s'identifie au Bonheur inconditionné qui est au-dedans de nous et que chaque âme humaine possède en propre. »

     

    Je dressai l'oreille et regardai attentivement l'homme qui parlait ainsi ; puis je posai à mon tour une question: « Vous prétendez que toute douleur morale est une forme d'infantilisme: pourquoi, alors, le bonheur n'en serait-il pas une autre? » Il tourna vers moi ses yeux étrangement doux, mais pleins de force: « La douleur, reprit-il, fait partie des choses illusoires de la vie, et c'est la caractéristique des enfants que d'aimer les illusions. Leurs jeux consistent à « faire semblant » d'être des rois, des soldats ou mille choses encore...

     

    Le contentement, en revanche, est l'un des attributs de la maturité, et... » « Je ne sais réellement pas, interrompit l'une des dames, où vous voyez l'illusion dans le fait que la femme de Wilfred a cessé de l'aimer et qu'elle est tombée amoureuse d'un autre homme? » 

    « Mais, dit-il, avec un sourire tranquille, l'illusion n'intervient que s'il se laisse bouleverser par ce fait. » « Vraiment! » s'étonna la grosse dame. « La jalousie, poursuivit-il, est évidemment aussi une forme de puérilité. » « Mais Wilfred n'a jamais été jaloux », insista la dame.

    Il lui sourit avec une amicale bonté. « La jalousie existe à deux degrés différents: on est jaloux sans cause, ou l'on est jaloux lorsqu'il en existe une. Un homme n'est au-dessus de la jalousie que lorsqu'il demeure paisible là même où il y aurait matière à jalousie. » « Comme je détesterais épouser un homme que ne tourmenterait pas le moindre sentiment de jalousie! » remarqua vivement ma voisine en se tournant vers moi. « Eh oui, dit-il, en lui adressant un sourire indulgent ; il y a beaucoup de femmes qui en disent autant. Elles pensent, voyez-vous, que la jalousie est encore un hommage qu'on leur rend - mais ceci est une illusion de plus. Ce qui serait réellement flatteur pour une femme, ce serait qu'un homme l'aimât assez pour placer toujours son bonheur à elle au-dessus du sien propre. »

    « Je pense qu'il existe fort peu de maris de ce genre », remarquai-je. « Et s'il y en avait, reprit ma voisine, ils auraient l'air d'amphibies plutôt que de maris... Ne me parlez pas d'un époux de cette sorte! » « C'est seulement, répliqua l'inconnu avec douceur, que vous n'avez jamais réfléchi particulièrement sur ce sujet. Voyez-vous - et il y avait dans son accent une note chevaleresque -la femme douée de noblesse ne désirera jamais que son mari soit torturé par la jalousie, uniquement pour satisfaire sa vanité féminine. »

    A ce point critique de l'entretien, ma voisine trouva refuge dans un rire. « Vous êtes très intelligent! » dit-elle. Il fit de la main un geste qui semblait écarter le compliment. « Je suis un de ces êtres, fortunés ou infortunés, qui ne peuvent s'empêcher de voir les choses exactement comme elles sont. » « Alors il vous manque le sens de l'art, fit l'une des dames. Vous ne sauriez, comme un peintre moderne, voir, dans une cheminée d'usine, la tour d'un antique manoir! »

    « Hélas! Peut-être mettez-vous le doigt sur la plaie, admit-il. En fait, Je suis affligé d'une naïveté qui me rend difficilement capable de comprendre comment les gens peuvent croire des choses qui sont manifestement fausses. »

    « Par exemple? » demandai-je. « Eh bien, par exemple, qu'un homme ne puisse pas être réellement amoureux s'il n'est pas jaloux? » « Évidemment, vous n'êtes pas marié vous-même? » fis-je, avec une pointe de malice.

    « J'ai été marié », fut sa réponse, après un temps de silence. Le mot: divorcé me vint à l'esprit. « Tu as gaffé! » pensai-je. « Je suis veuf, poursuivit-il. (Nous échangeâmes, mes voisines et moi, de furtifs regards). Cela étant, mes idées matrimoniales ne sont pas purement des théories. » « Alors, fit l'une des dames, vous avez dû être un époux très magnanime. »

    « J'ai été simplement un mari doué de bon sens ; car j'ai toujours senti que cela ne me rapporterait rien d'être autre chose que ce que vous appelez flatteusement « un époux magnanime ». D'ailleurs, ajouta-t-il, le sens de la possession est encore un attribut de l'enfance. » « Qu'entendez-vous par là? » questionna ma voisine. « Eh bien, que vous pourriez aussi bien essayer de posséder la lune, que d'essayer de posséder  un autre être: chaque âme ne s'appartient qu'à elle, à elle-même uniquement. » « Alors, pourquoi jamais se marier? » objectai-je. « Pour pouvoir vivre avec la personne que vous aimez sans l'exposer au scandale », fut la simple réponse.

    Ici, nous fûmes interrompus par la voix d'un laquais. Je l'entendis, sans grand plaisir, me dire à l'oreille que notre hôtesse m'attendait pour compléter une partie de bridge. Je me levai donc, et pris congé dans les formes. Ce ne fut qu'à une heure très tardive, alors que, debout dans l'antichambre, j'attendais un taxi, que ma vive curiosité de la soirée fut - sur quelques points - satisfaite, grâce à l'une des trois dames, qui attendait aussi une voiture. « Qui, au monde, était cet extraordinaire jeune homme? » m'enquis-je à demi-voix.

    « Jeune! dit-elle. Je crois savoir qu'il a bien plus de cinquante-cinq ans ».

    « Cela le rend d'autant plus extraordinaire... mais qui, encore une fois, peut-il bien être? » « Eh bien, son nom est Justin Moreward Haig, et il est arrivé de Rome il y a deux mois... C'est tout ce que je sais à son sujet », répondit-elle. Ce maigre renseignement ne me contentait nullement ; je sentais que cette grosse dame, dont l'extérieur ne semblait guère annoncer le complet détachement de toute curiosité, devait certainement me cacher ce qui se disait dans le public.

    Un homme de ce genre n'avait guère pu être vu, et surtout entendu, dans les diverses sociétés de Londres (où les langues se démènent avec une inconcevable vélocité) sans que, de manière ou d'autre, quelques « histoires » ne se fussent répandues à son sujet. Plus ou moins fausses, exagérées ou inadmissibles, sans doute. Quoi qu'il en fût, quelqu'un devait avoir lancé un certain nombre de « canards » sur les eaux toujours agitées du bavardage mondain ; le contraire eût été incroyable.

    De plus, cette dame de vastes dimensions, quand je l'avais questionnée sur l'âge de l'inconnu, avait employé l'expression: Je crois savoir, qui me paraissait significative. Bien que je n'eusse vu l'étranger que vingt minutes au plus, et que je l'eusse entendu condamner sans rémission quelques-uns de nos plus précieux préjugés (manière de faire qui, à cette époque de ma vie, me semblait un peu vaine), il émanait de sa personne une douceur et, en même temps, un magnétisme qui m'attiraient vers lui d'une façon invincible.

     

    Si peu d'accord qu'on fût avec les choses qu'il disait, il vous faisait sentir qu'il était foncièrement sage ; et, d'autre part, le fait d'exprimer ces choses dans une soirée mondaine et devant de complets étrangers, révélait quelqu'un d'étrangement naïf... J'eus même l'idée subite (qui devait me revenir à notre deuxième rencontre) qu'il était peut-être bien un peu fou, étant doué de cette sincérité qui est précisément le signe de la folie. Ce ne sont, en effet, que les aliénés qui peuvent faire les déclarations les plus énormes en toute sincérité, convaincus qu'ils sont de l'absolue vérité de ce qu'ils affirment.

    Ces réflexions occupaient mon esprit pendant que je faisais face à la grosse dame, qui me gratifiait d'une conversation à laquelle je ne voyais pas la nécessité d'accorder grande attention (elle déplorait de ne pouvoir « voler » ou, plus simplement, pousser des boutons électriques, pour être transportée, ce qui lui aurait épargné l'affreuse attente du cab, dans les soirées et at homes). J'attendais la fin de ces discours superflus, dans l'espoir de tirer d'elle toute autre confidence qui m'intéressât au sujet de l'étrange personnage dont elle « croyait savoir qu'il avait bien passé cinquante-cinq ans ».

    « Pour en revenir à ce monsieur, dis-je, comment savez-vous qu'il est aussi âgé que cela? » « Il a une fille mariée qui paraît trente-huit ans bien sonnés. » « Était-elle ici ce soir? » « Elle est repartie pour Rome il y a une quinzaine. » « Mais êtes-vous certaine qu'elle soit sa fille? » « Il la présentait comme telle ; mais, naturellement, on ne peut jamais être sûr de rien... dans ces  questions de parenté », ajouta-t-elle peu charitablement.

    « La voiture de Mrs. Jameson! » cria une voix du dehors. Là s'arrêta donc mon interrogatoire, comme s'arrête l'histoire de ma première rencontre avec l'homme que j'ai paradoxalement nommé « le sage Innocent », parce que, dans cette soirée et dans la suivante, il me frappa comme étant la personnification de ces deux qualités opposées.

     

    Chapitre IV

    La seconde rencontre

    J'avoue que, plusieurs jours après cette première rencontre, je me surpris à penser à la soirée Eddisfield et à son personnage principal avec une fréquence et une persistance qui ne sont pas dans mes habitudes. A part la question non résolue: « Qui est-il? » (puisque son nom ne me disait rien) s'ajoutait une série d'autres questions rebelles à toutes mes déductions. Les quelques amis et connaissances que j'approchai ne purent m'apporter d'autres clartés que celles de la grosse dame questionnée chez Lady Eddisfield : leurs réponses étaient aussi évasives que les siennes. Qu'on sache bien que je voudrais me mettre aussi peu en avant que possible dans ce récit touchant un être noble et singulier, mais que je risquerais, sur certains points, d'en donner une fausse idée, si je gardais un complet silence sur mes réflexions.

    La façon dont il avait jonglé avec le mot « infantilisme » me fit me demander s'il ne souffrait pas d'un immense orgueil... Puis, je me rappelai qu'il l'avait prononcé avec autant de détachement qu'on parlerait d'un temps clair ou d'un temps nuageux, et l'idée d'orgueil fut bannie de mes conjectures. Or, un jour, il arriva que nous nous rencontrâmes par hasard à Kensington Gardens.

    C'est de cette rencontre que date l'amitié qui rendit sans objet tous mes points d'interrogation.

    J'étais assis, contemplant rêveusement cette partie de la Serpentine qui ressemble à une rivière rustique coulant entre de paisibles et verdoyantes prairies, lorsque, soudain, à ma grande surprise, je le vis venir à moi et s'asseoir à mon côté. « Nous sommes prédestinés à devenir deux amis, me dit-il, posant un instant sa main sur mon bras ; cela étant, le plus tôt nous débuterons dans cette amitié, le mieux ce sera. »

    Je murmurai quelque chose sur « l'honneur et le plaisir... » car son entrée en matière me flattait, bien que je la trouvasse un brin singulière.

    « Nous n'usons pas, vous le voyez, notre souffle en banalités préliminaires, poursuivit-il ; nous allons droit au but. Parler pour le plaisir de parler est chose rarement recommandable. » Je convins qu'en général les gens parlent trop, mais je me demandais en moi-même ce que son nous signifiait, car il ne semblait pas me désigner.

    « Je me souviens, reprit-il, que lorsque je vous dis adieu, en Egypte, dans des circonstances plutôt tragiques... il y a quelques milliers d'années, j'essayais de vous réconforter par l'assurance que nous nous retrouverions dans des circonstances plus heureuses: vous étiez dans ce temps-là une femme... »

    « Ah, vraiment! » fis-je avec une présence d'esprit dont je ne me serais pas cru capable, car l'idée d'être en compagnie d'un fou m'avait traversé l'esprit. Après tout, il y a des fous qui sont charmants!

    Il me regarda un moment, une étincelle amicale dans les yeux. « Vous rappelez-vous une tante à vous, qu'on appelait tante Jane : Mrs. Wibley, de son nom de famille? » demanda-t-il.

    J'admis que je me la rappelais (elle passait pour la « toquée » de la famille). « Je la connais », dit-il. « La connaître! répétai-je, mais il y a vingt ans qu'elle est morte! » « Ce n'est pas un obstacle à nos relations », répondit-il sans embarras.

    « Voyons, repris-je en riant, mais intérieurement un peu agacé, vous voulez plaisanter? »

    « Je vous pardonne ce soupçon, fit-il en riant aussi ; mais un peu de patience! Vous rappelez-vous que votre tante était quelque peu tournée en dérision à cause de ses tendances spirites? » Je m'en souvenais en effet.

    « Vous souvenez-vous aussi qu'elle fit le vœu, après une certaine discussion de famille, qu'elle confondrait une fois ses adversaires en leur adressant un « message de l'Au-delà ? » Je me le rappelais parfaitement.

    « Eh bien, donc, elle  a à tous envoyé ce message. » « Et quel est-il? » demandai-je avec quelque scepticisme. Il me le communiqua tout au long... -

    « Je suppose que vous êtes vous-même spirite? » dis-je après cette explication. « Pas précisément dans le sens où vous l'entendez. Je suis cela comme je suis toutes choses ou rien, si vous préférez. Car, s'il est bon d'être né dans une certaine croyance, mourir dans cette même croyance est désastreux. Les croyances sont les béquilles à l'aide desquelles on s'avance en boitant vers la Vérité. Vous éclaire-t-elle? Alors vous rejetez vos béquilles. Un grand nombre de dévots croient ; mais croire, ce n'est pas forcément savoir. Seul celui qui pratique l'occultisme sait. »

    « Vous êtes donc un occultiste? »

    « Oui, je pense qu'on peut m'appeler ainsi », dit-il modestement.

    « Dites-moi, fis-je avec une curiosité accrue, comment il se fait qu'un homme tel que vous puisse trouver le moindre plaisir à faire le tour de ces ennuyeux salons londoniens? » Il rit.

    « Une chose est ennuyeuse ou plaisante selon ce qu'on y apporte soi-même. Si vous voulez réellement le savoir -je suis à la recherche d'aventures spirituelles. » Je lui dis que je ne saisissais pas très bien. « J'admets que cette phrase est ambiguë, reprit-il, mais il est difficile de m'expliquer autrement sous une forme succincte. »

    « C'est que cela m'intéresse réellement ; sincèrement, je voudrais comprendre ! »

     

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    « Bien. Alors voici. J'ai une manie, qui peut vous sembler étrange ; je m'efforce de transformer le « point de vue » des gens afin de les aider à résoudre leurs difficultés. Si vous vouliez me donner un nom plaisant, vous m'appelleriez une sorte de philanthrope, de dispensateur d'aumônes morales. » Je commençais vaguement à comprendre. « Votre doctrine, s'est l'idée de donner », conclus-je.

    « Oui, fit-il ; mais il y a deux sortes de dons: celui qui passe et celui qui dure. »

    De nouveau je ne le suivais plus. « Si vous donnez dix sous à un mendiant paresseux et famélique, dit-il, en moins d'une heure il a dépensé ses dix sous, et il a de nouveau faim. Mais si vous lui faites entrevoir un horizon tout nouveau, qui le rende sincèrement désireux de travailler, ce que vous lui avez donné est inestimable. »

    Je lui dis que sa philosophie me paraissait pleine de sens pratique.

    « Une masse de gens charitables, poursuivit-il, s'en vont dans les taudis de la grand'ville distribuer des secours en argent ; mais qui va dans ce qu'on pourrait appeler les « taudis » de la bonne société apporter le réconfort aux femmes délaissées, aux jeunes filles en mal d'amour, aux amoureux repoussés, aux maris restés seuls, à la multitude d'infortunés dont cette société regorge? »

    « Vous, évidemment », dis-je.

    « J'essaye, du moins », fit-il en souriant. Sortant mon étui à cigarettes, je lui en offris une qu'il accepta. Mais je m'aperçus que j'avais oublié  mes allumettes.

    Il tira de sa poche une petite boîte en or.

    Une forte brise printanière soufflait, éteignant d'une façon agaçante chaque allumette qu'il enflammait. J'observais avec amusement qu'il ne manifestait pas la moindre impatience, ce qui me semblait phénoménal.

    « N'êtes-vous donc jamais impatient? » demandai-je enfin. Il sourit d'un air interrogateur.

    « Impatient? Pourquoi le serais-je? J'ai l'Éternité devant moi... ».

    Et il alluma ma cigarette avec la dernière allumette de sa boîte.

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    « Revenons, dit-il, à votre question d'il y a un instant: vous savez, à présent, pourquoi je fais la tournée des salons de Londres! » « La société de Londres ne peut qu'y gagner », dis-je. Il fit son geste coutumier, qui semblait balayer le compliment.

    « Mais il y a une chose que vous ne savez pas », ajouta-t-il. Je demandai laquelle. « C'est que je déteste parler de moi-même! » Sur cette remarque il se leva pour partir.

    Je me mis à rire. « A propos, fis-je en me levant pour lui serrer la main, je ne crois pas que vous sachiez mon nom: nous n'avons jamais été présentés l'un à l'autre. » « Vous oubliez votre tante... » dit-il en clignant de l'œil. Je ris encore. C'était réellement là une présentation d'un nouveau genre.

    « Nous nous verrons mercredi, chez Mrs. Darnley », ajouta-t-il en s'en allant.

    « Mais je ne suis pas invité chez elle, dis-je. D'ailleurs, j'ai ce soir-là un autre engagement. »

    « Nous nous y retrouverons tout de même!» Et il se dirigea vers le sentier. « J'aime cet homme », pensais-je en moi-même en le regardant s'éloigner. Chose étrange, en rentrant chez moi, je trouvai un message qui contremandait ma soirée du mercredi, tandis que le courrier suivant m'apportait une invitation de Mrs. Darnley !

     

     Les préjugés de Mrs. Darnley

    Je découvris bientôt, chez J. Moreward Haig, une idiosyncrasie d'un genre d'ailleurs inoffensif: il se plaisait à choquer son prochain, et cela, en quelque sorte, à ses propres dépens. La majorité des gens répugne à faire des déclarations par trop inattendues et, lorsqu'elle y est forcée, prélude à ses assertions par de si abondantes justifications que l'inattendu se transforme finalement en banalité.

    Or, mon nouvel ami avait un double mobile en lançant ses bombes orales au milieu de l'aride bavardage de la société mondaine ; d'une part, il y trouvait un évident plaisir ; d'autre part, il obligeait ainsi à penser.

    « Il y a deux moyens de faire impression, me disait-il un jour: l'un, c'est de parler très fort - procédé souvent critiquable - l'autre, c'est d'énoncer une vérité tout à fait inouïe comme si l'on disait la chose la plus naturelle du monde... »

    - Et, certainement, cette méthode portait ses fruits, car je puis dire que j'ai retenu chaque parole de notre fameux entretien de Kensington Gardens, ainsi que la plupart de ses autres « discours », si je puis les nommer ainsi. Mais, en revanche, il ne se permettait pas de faire des déclarations surprenantes uniquement pour produire de l'effet. Il croyait à tout ce qu'il disait, et l'exprimait avec une simplicité convaincue qui semblait impliquer que ses auditeurs y croyaient aussi.

    Ce trait donnait à sa personnalité un air d'innocence et de naïveté qui ne pouvait manquer de charmer, de subjuguer, même, ceux qui entraient en rapport avec lui. En fait, ceux qu'il choquait étaient agréablement choqués, et jamais d'une manière qui suscitât en eux le moindre ressentiment ; car jamais il n'attaquait ni ne jetait le plus léger ridicule sur leurs croyances sacrées. Sa méthode pour redresser l'erreur consistait rarement à prouver à quelqu'un qu'il avait tort, mais bien plutôt à lui faire voir qu'une autre chose était juste. Cette règle adoptée par lui comportait, toutefois, une exception: elle touchait ceux qu'il nommait les « modernes pharisiens ». « Là, disait-il, je dois, avec répugnance, user du marteau pour briser les faux dieux. »

    Mrs. Darnley était une vieille connaissance à moi, dont l'hospitalité s'exprimait le plus souvent par l'organisation de petits dîners intimes. Aussi ne fus-je pas surpris - mais bien charmé - de n'y trouver, en arrivant ce certain soir, d'autre convive que Moreward Haig.

    Notre petit cercle comptait donc Mrs. Darnley, sa juvénile et très attrayante fille Sylvia, et nous deux. Il se resserra davantage après le dîner, Sylvia ayant pris congé de nous avec quelques excuses pour aller faire de brèves apparitions dans une série de at Homes, où elle risquait d'être retenue jusque après notre départ. Le bonsoir qu'adressa Mrs. Darnley à sa fille sentait ouvertement la « convention » plutôt que le véritable amour maternel.

    Cependant, elle suivit sa sortie d'un air préoccupé, trahissant des pensées qui - pour notre bénéfice - ne devaient pas tarder à se faire jour en paroles. « Cette enfant me cause du souci, observa-t-elle d'un air méditatif. Les choses n'ont guère bonne façon... » Nous manifestâmes notre sympathie, tout en nous enquérant de ses motifs d'anxiété. « C'est un poète qui cause, en ce moment, mon souci », fut sa réponse. « Une amitié avec un poète? » interogea Moreward, et nous rîmes tous les deux. « Vous l'appelez une amitié! dit-elle. Mais je ne crois pas aux amitiés entre jeunes gens et jeunes filles. » De nouveau nous nous laissâmes aller à rire, mais discrètement. « Voyons, lui dis-je, amitié est le seul terme qui convienne dans ce cas ; si l'on n'est pas la femme, la fiancée, ou la... » « Non! n'articulez pas ce mot, coupa-t-elle, ou vous me choquerez terriblement: naturellement, elle n'est aucune de ces choses. » « Amitié, dit Moreward en souriant à la dame, c'est un fort beau mot, et une chose bien plus belle encore. Mais pourquoi vouloir en contester l'existence? » 

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    « Je ne nie pas qu'elle n'existe parfois ; mais... Sylvia est si sentimentale - pour ne pas dire faible... » « Est-ce que faiblesse serait, dans votre vocabulaire, le synonyme d'amour? » demandai-je. « Vous savez parfaitement ce que j'entends. » « Oui, mais êtes-vous bien sûre de savoir ce que vous entendez? » insistai-je.

    « Que vous êtes impertinent! dit-elle. Vraiment, j'ai toutes les raisons de savoir ce que je dis! » « Sans nul doute, dit Moreward, interrompant ce petit duel oratoire, le sentiment tendre s'ajoutant à l'amitié est un élément des plus heureux: il rend l'amitié plus complète.

    N'êtes-vous pas heureuse que votre fille ressente une émotion qui ajoutera à son bonheur? » « Je ne crois précisément pas que ce sera pour son bonheur, répliqua-t-elle. En outre, je ne trouve pas cela tout à fait convenable... » « Mais, alors, vous ne trouverez jamais convenable, pour votre fille, de s'attacher à quelqu'un d'autre qu'à vous ou à elle-même! »

    « Ne soyez pas ridicule, Broadbent! » dit-elle, riant en dépit d'elle-même. « Mais c'est ce que cela revient à dire. »

    « Jugez-vous, demanda Moreward, sans la moindre note de sarcasme, qu'on ne devrait aimer que ses ennemis? »

    « Non. Bien sûr que non! » « J'ai entendu quelque part, fis-je d'un air malin, un précepte qui dit: Aime ton prochain comme toimême. Je suis sûr que vous le pratiquez. » « J'essaye, du moins », fit-elle, avec un accent de piété momentanée.

    « Cependant, vous ne jugez pas que votre fille doive aimer son prochain - spécialement si c'est un homme, et singulièrement un poète? » poursuivis-je avec la même malice.

    « Vous savez parfaitement bien, dit-elle, se sentant battue, qu'il ne s'agit pas de la même sorte d'amour. »

    « Mais, n'est-ce pas justement là que vous faites erreur? fit Moreward avec une gravité pleine de douceur. En réalité, il n'y a qu'une seule sorte d'amour. Cette différence que vous, et beaucoup d'autres gens n'ayant jamais réfléchi profondément à ce sujet, établissez entre deux sortes d'amours, c'est une différence de degré, mais non pas d'espèce.

    » Elle lança de mon côté un regard qui disait: « Cet homme-là, du moins, je puis l'écouter: il ne se moque pas de moi! » « Vous dites que vous ne pouvez croire à l'amour platonique, poursuivit Moreward, du moins j'ai cru le comprendre. Mais, si vous pouviez y croire, en admettriez-vous la valeur? » « Peut-être que oui, acquiesça-t-elle après réflexion.

    « Très bien. Mais, qu'est-ce, en somme, que l'amour platonique? Simplement une combinaison de sympathie spirituelle et d'indifférence physique. »

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    « La meilleure définition que j'aie entendue », interrompis-je. « Je crains de n'être pas assez intelligente pour saisir... » fit Mrs. Darnley avec un modestie un peu feinte. « Eh bien, expliquai-je, cela signifie qu'un homme jouit vivement de la conversation d'une certaine femme - mais aussi longtemps qu'il peut demeurer à l'autre bout du sofa... parce qu'appréciant son esprit, mais n'aimant pas son corps, il répugnerait à toute espèce de rapprochement. N'est-ce pas cela? demandai-je à Moreward. « Un peu crûment défini - c'est bien cela! » convint-il en riant. 

    « Cela ne me paraît pas quelque chose de très joli... » remarqua Mrs. Darnley. « C'est peut-être un brin monotone... » ajoutai-je malignement. «

    Et cependant, reprit Moreward, jamais Platon n'a conçu l'amour « platonique » dans ce sens-là. Il pensait bien plutôt à un amour qui se maîtrise, qui refuse de s'abandonner à la complète expression de la passion physique. » « Il en est de ce terme comme de beaucoup d'autres, remarquai-je. Les pharisiens en ont plié le sens originel à leurs mesquines conventions. » « Les pharisiens! » répéta-t-elle ; « mais ils n'existent plus, de notre temps? »

    J'eus sur le bout de la langue de lui dire: « Et vous, donc? » Mais je me contins.

    « Ne croyez-vous pas, Madame, dit Moreward, que ce sont précisément les pharisiens qui vous hypnotisent jusqu'à vous faire croire qu'il est « inconvenant », autrement dit, presque mal - de la part de votre fille - d'avoir de l'attachement pour l'homme à qui vous pensez? Considéré du point de vue spirituel, le mal serait qu'elle ne l'aimât pas ».

    « Vraiment, Mr. Haig, vous avez une façon de retourner les choses! » « Ce sont les pharisiens qui le font, remarquai-je.

    Ils disent: « Tu n'aimeras pas ton prochain! » Elle rit, d'un rire faible. « Aimeriez-vous, Mrs. Darnley, que votre fille possédât un cœur peu aimant? » demanda Moreward avec une calme simplicité. « Je voudrais qu'elle aimât, un jour, quelqu'un qui fût vraiment le bon », fut sa réponse.

    « Le bon, du point de vue pécuniaire? » insinuai-je.

    « Le bon à tous les points de vue! » corrigea-t-elle.

    « Oui, mais le bon pour vous pourrait être le mauvais pour elle », objectai-je. Elle feignit de ne pas comprendre, quoiqu'elle eût fort bien saisi.

    « Vous êtes-vous jamais demandé, Mrs. Darnley, fit Moreward avec déférence, pourquoi il y a tant de mariages malheureux? » « A vrai dire, je n'y ai jamais beaucoup pensé.... » « Ne croyez-vous pas que cela pourrait venir de ce que trop de mères regardent toutes les amitiés de leurs filles du point de vue matrimonial? » « Peut-être. Mais c'est justement ce que je ne fais pas. » « Pardonnez-moi, dit-il courtoisement, mais c'est précisément ce que vous faites. Vous oscillez, pour ainsi dire, entre les deux pôles du dilemme matrimonial: j'entends que vous craignez que votre fille désire cet homme, et que vous êtes tout aussi effrayée qu'elle puisse ne pas le désirer. En somme, votre attitude à l'égard de l'amour, c'est: le mariage ou rien. Cette attitude, chère amie, est la cause de la plupart des infortunes conjugales, car, grâce à elle, les jeunes gens épousent trop souvent une « connaissance » très mal assortie à eux, au lieu de s'unir à un ami ou à une amie véritable. »

    « Il vous est facile de discourir! » dit-elle, peu convaincue ; « mais, voyez-vous, je ne puis permettre à ma fille d'avoir une série d'« affaires amoureuses ». Et qu'en penserait donc le monde? »

    « S'occuper des racontars d'autrui, c'est de la vanité, dit Moreward avec douceur ; mais penser au bonheur de sa fille, Mrs. Darnley, c'est de l'amour. Je sais très bien que vous choisirez le dernier parti », ajouta-t-il en posant la main sur son bras.

    « Nous verrons, nous verrons », fit-elle, flattée du compliment, quoique doutant un peu de le mériter. 

    Ici la discussion prit fin, car Miss Sylvia, à notre grande surprise, rentrait déjà dans la chambre. « Je n'ai pas pu prendre sur moi d'aller à la seconde réception, dit-elle. La première était si atrocement ennuyeuse! Alors, je suis revenue. »

    Peu après, Moreward et moi prenions congé de nos hôtesses.

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    CHAPITRE V 

    Le garden-party

    Nous nous retrouvâmes dix jours plus tard au garden-party de Lady Appleyard. J'avais, dans l'intervalle, revu une ou deux fois M. H., et il m'avait dit qu'il se proposait de rendre, si possible, à Miss Sylvia, un léger service.

    « Son aura révèle de très belles qualités, dit-il. S'il lui est donné d'aimer et de vivre un peu intensément, elle fera de grands progrès dans son incarnation actuelle.»

    Soit dit en passant, cette remarque, et d'autres du même genre, ne me frappaient plus comme particulièrement mystérieuses, bon nombre de discussions sur la philosophie occulte m'ayant, entre temps, amené à mieux comprendre ce sujet si captivant. Nous avions conduit Mrs. Darnley, qui se laissa volontiers faire, dans un coin ombreux du vaste et beau jardin de Mrs. Appleyard.

    Si conventionnelle que fût Mrs. Darnley, elle admirait et aimait particulièrement mon sage ami ; quant à moi - eh bien! je puis dire que, tout au moins, je l'amusais.

    « Et que devient la poétique amitié de votre fille? demanda Moreward. J'aime à croire que vous n'y mettez aucun obstacle? » « Quels obstacles pourrais-je bien lui opposer? » fit-elle. « Le manque de sympathie », dit Moreward.

    « On ne peut guère attendre de moi de la sympathie pour une chose que je désapprouve. » « La sympathie véritable est celle qu'on accorde à ce qu'on n'approuve pas, dit-il doucement, mais gravement ; c'est la sympathie par excellence, inspirée de l'amour. »

    « Peut-être n'aimez-vous pas votre fille? » fis-je, poussé par un malin démon. « Comment pouvez-vous! » s'exclama-t-elle. « Vous avez correspondu avec ce poète, je crois? » dit Moreward en me jetant un regard qui signifiait: « Pour l'instant, soyez sérieux. » « Comment au monde, pouvez-vous le savoir? Sylvia elle-même l'ignore! »

    « Il y a bien des manières de savoir les choses qu'on ne vous dit pas », répondit-il en souriant. « Vous avez, je crois, une de ses lettres dans votre petit sac? »

    Mrs. Darnley, de plus en plus stupéfaite, ouvrit son réticule, et lui tendit une lettre. « Merci. Maintenant, supposons que je vous décrive cet homme et que nous jugions son caractère estimable: modifie-riez-vous votre attitude? » « Je ne sais pas... » fit-elle, indécise.

    « Eh bien, voyons un peu, poursuivit-il, tâtant doucement la lettre entre le pouce et le médium. Nous avons affaire à un homme grand et noir, vigoureux, au visage rasé ; le front est haut, les cheveux rejetés en arrière, les yeux pénétrants, de couleur gris-vert... Est-ce bien cela? » « Absolument... Mais, comment... » Il fit mine d'ignorer son étonnement « Le caractère correspond au visage. C'est un esprit élevé, un tempérament altruiste, au total un être sympathique, dont le contact ennoblit... Je vous félicite, Mrs. Darnley, pour cette amitié de votre fille! »

    « Maintenant, voyons ce que nous réserve l'avenir. » Il se tut un moment. « Votre fille n'épousera pas cet homme, dit-il enfin lentement. Mais il suffirait que vous les contrariez dans leur amitié pour qu'ils deviennent passionnément amoureux l'un de l'autre, et cela  vous réserverait des ennuis à tous trois. Permettez-leur de se voir autant qu'ils le veulent - et les choses s'arrangeront à votre satisfaction, Mrs. Darnley. »

    L'étonnement, l'amour-propre et les préjugés se livraient une rude bataille en elle... « Mais, si je suis votre conseil, dit-elle enfin, comment pourrai-je empêcher les gens de bavarder ? »

    « Se laisser émouvoir par le jacassement de quelques perroquets, c'est un enfantillage dont je ne puis vous croire capable, Mrs. Darnley », fit-il, sans sévérité, toutefois.

    Il y eut un silence. Mrs. Darnley se rendait compte qu'elle en serait, hélas, très capable.

    « Aimez-vous la poésie? » demanda-t-il, pour dévier l'entretien et lui rendant en même temps sa lettre. « De toute mon âme! » fit-elle avec ferveur.

    « Mais pas les poètes! remarquai-je. Le poète est honoré tant qu'il ne se fourvoie pas dans une famille comptant de belles jeunes filles. » « Ne pourriez-vous pas lui apprendre à être sérieux? » dit-elle à Moreward sur un ton de prière.

    « C'est sa manière d'être, dit-il généreusement ; il vous sert de vérité profonde sous une forme délicate. » « Une chose remarquable chez les hommes, fit-elle en riant, c est que, contrairement aux femmes, ils ne manquent jamais de se soutenir entre eux! »

    « Alors, je puis être pardonné de prendre, en ce moment, le parti d'un poète? » fit Moreward suavement. Et, après un silence: « Suivrez-vous mon conseil, Mrs. Darnley? » « Vous avez beau jeu de parler, répliqua-t-elle ; vous n'avez pas de fille, vous, sinon, vous raisonneriez différemment. » « Pardonnez-moi, dit-il en souriant, j'ai une fille. » Mrs. Darnley parut très surprise. « Mais, en tout cas, elle est encore très jeune », objecta-t-elle. « Au contraire, elle est adulte ».

    « Et vous ne me l'aviez pas dit! » riposta-t-elle de plus en plus étonnée. « Comme c'est peu aimable à vous de ne me l'avoir pas amenée! Mon Dieu, mais à quel âge vous êtes-vous donc marié? » « Pas si jeune que cela, dit-il, amusé de sa stupéfaction.

    Après tout, l'apparence juvénile n'est souvent que le résultat du calme de l'âme joint à la pureté de l'alimentation. Un vieux moraliste a dit: Le cœur aimant fait le corps jeune. »

    « Eh bien, vraiment! constata Mrs. Darnley, nous ne sortons pas des miracles. »

    « Nous n'en sortons pas, en effet, parce qu'ils n'existent pas », rectifia-t-il en souriant. « Ce qui paraît miracle aux yeux de l'un est chose normale aux yeux de l'autre.

    Si je vous ait étonnée, il y a un moment, par une petite séance de « psychométrie », c'est que vous n'avez jamais entendu parler de cela ; et, cependant, rien ne paraît plus naturel à ceux qui cultivent cette science. » « Le seul véritable péché, c'est l'ignorance », fis-je, avec une feinte sévérité.

    « Parfaitement juste », acquiesça Moreward.

    « Ah! je voudrais bien être savante! » soupira Mrs. Darnley en s'apprêtant à nous quitter. Nous nous levâmes pour lui dire au revoir.

    « Vous n'oublierez pas mon conseil? » insista Moreward en lui tapotant la main. « Nous verrons », répliqua-t-elle, avec une obstination toute féminine. Il s'inclina courtoisement, et la regarda s'en aller. « Ouf! soupira-t-il d'un air de bonne humeur, lorsqu'elle fut hors de vue ; j'avoue que l'atmosphère  d'une pharisienne est particulièrement étouffante... Le départ de cette femme est comme la fuite d'un épais nuage noir. » Je ris. -

    « Réellement, dit-il, les pharisiens sont bien loin du Royaume de Dieu: voir « inconvenant » dans toutes les choses innocentes et belles, c'est vivre dans un enfer préparé par soi-même. »

    « Je suppose que Sylvia et son poète sont déjà amoureux l'un de l'autre, observai-je, et que vous devez le savoir, bien que vous ne les ayez pas trahis? »

    « Oui, dit-il, une excellente chose aussi. Il a besoin d'elle pour stimuler ses facultés créatrices et elle a besoin de lui pour développer des qualités encore latentes. Le côté sentimental cédera tôt ou tard, mais l'amitié demeurera. »

    « Pensez-vous que la mère sera... » « Pendant un temps, oui. Le respect du conventionnel, mon ami, est une des pires formes de la vanité, parce que très insidieuse.

    Mrs. Darnley, la pauvre créature, est lâche par pure vanité ; son unique peur, c'est le jugement du monde. Elle ne vit pas dans le large univers de l'amour, mais dans une sorte de prison. A propos, ajouta-t-il, vous voyez Miss Sylvia plus souvent que moi: s'il se présente pour elle des difficultés, voulez-vous m'en avertir? » « Certainement », dis-je. 

     

     

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    Chapitre VI

    Une apparition

    Le chapitre précédent aura fait comprendre que J. Moreward Haig était doué de certains pouvoirs que l'on ne trouve pas chez le commun des hommes, bien qu'ils se rencontrent plus fréquemment de nos jours qu'au temps où se passe mon récit.

    Il était naturel que ces pouvoirs m'étonnassent et que j'eusse essayé de sonder Moreward à leur sujet. Mais, quant à l'amener à en faire montre en présence d'autres personnes pour leur en prouver l'existence, c'était là une toute autre question. En fait, il m'avait prié de garder un silence absolu sur ses facultés extraordinaires ; il m'avait dit que, chaque fois qu'il se sentait appelé à en faire usage pour venir en aide à son prochain, les commentaires qui s'ensuivaient lui étaient si désagréables, qu'il souhaitait qu'on ne les provoquât pas inutilement.

    « Les êtres les plus évolués de cette planète, disait-il, quand nous discutions le sujet, ne se servent pas de ces pouvoirs, même de la manière inoffensive dont je l'ai fait à l'occasion, quoique, sur le terrain de la psychométrie, ce soient des performances aussi banales que de jouer du piano avec dextérité ou de prononcer un beau discours. En réalité, ces pouvoirs, et d'autres, supérieurs encore, ne sont, pour le disciple de la sagesse occulte, que les marches par lesquelles il monte vers la foi ; je pense à cette foi d'essence unique et précieuse qui lui inspire l'héroïsme nécessaire pour marcher sur le sentier ardu menant à l'émancipation finale. Voilà pourquoi l'Adepte de la science occulte communique à ses élèves quelques-uns de ses pouvoirs dits miraculeux, mais ne songera jamais à les révéler à d'autres humains, ce qui ne serait ni moral, ni sage, ni prudent, - car les hommes ne sont pas encore préparés à les comprendre. »

    Un jour que quelques personnes curieuses de ces questions et moi-même encouragions Moreward à nous exposer les mystères de l'occultisme, on se mit à parler de la possibilité de lire les pensées d'autrui, et de la légitimité d'un tel acte. Il nous raconta alors une histoire qui, si elle fût tombée des lèvres d'un autre, nous eût semblé dans sa triste scélératesse presque invraisemblable. « Je dois, bien entendu, adopter des noms fictifs, nous dit Moreward, certains personnages de cette histoire pouvant encore être en vie et le héros principal - un de mes élèves -résidant actuellement à Londres. Ceci se passe à l'époque où cet élève était en train de se « réveiller », c'est-à-dire au moment où ses facultés psychiques latentes commençaient à se manifester, sans qu'il eût encore appris à exercer sur elles un contrôle suffisant. Nous le nommerons Sinclair. C'était un homme de trente-huit ans, très vigoureux d'allure. Trois autres personnes entrent en jeu: deux frères, que nous nommerons Henry et Charles Thompson, et une femme, Ethel, l'épouse d'Henry. « Ethel et Henry n'étaient pas heureux en ménage, et nul ne l'ignorait, car ni l'un ni l'autre n'avait la faculté de donner le change ; c'était, entre eux, un échange de politesses glacées, plus significatives que d'occasionnelles et franches querelles. On savait, en outre, qu'Henry se droguait, poussé à cela, disait-on, par le caractère désagréable de sa femme « Quant à Charles, il ressentait pour son frère le mépris qu'ont pour les faibles certains hommes vigoureux et doués de puissants appétits.

    Il regardait ce névropathe comme la honte de la dynastie familiale, mais il enviait son patrimoine.

    Il haïssait son frère dans son for intérieur, tout en jugeant opportun de rester en bonnes relations avec lui, car il avait ainsi l'occasion de jouir du luxe et des amusements (tir, chasse...) que permettent la fortune et un vaste domaine. « Quant à Sinclair, son intérêt pour cette famille était purement altruiste, et basé sur d'anciennes relations avec Henry: ils avaient été camarades d'école, puis étudiants ensemble à Oxford. Henry, de son côté, aimait Sinclair autant que pouvait aimer un être de nature si mesquine ; et Sinclair, espérant faire tant soit peu de bien à son ami, cultivait, au lieu d'y renoncer, une amitié qui, sans cela, fût morte de sa belle mort. « Le dramatique incident que je vais relater se passa dans la maison de campagne des Thompson, où Sinclair et Charles se trouvaient en visite, et seuls hôtes d'Ethel et d'Henry. L'effet produit sur Henry par les drogues qu'il absorbait devenant de plus en plus apparent, Ethel répugnait à inviter d'autres personnes, qui eussent été témoins de ce spectacle dégradant. Lorsqu'elle était à ses affaires et Henry trop agité de corps et d'esprit pour supporter la compagnie des autres, Sinclair et Charles, laissés seuls ensemble, sortaient à pied et à cheval, ou lisaient au coin du feu.

    « C'est alors que Sinclair commença à ressentir une singulière impression: dès qu'il se trouvait seul avec Charles, sans qu'aucun d'eux parlât, une certaine image se dressait devant lui - une horrible image, en vérité! La première fois qu'il en prit conscience, elle était encore si vague et si mal définie, qu'il la repoussa comme une de ces absurdes rêveries qui s'insinuent parfois dans les états de demi-conscience. Mais, comme, avec le temps, l'apparition persistait, devenant toujours plus nette et plus précise, il se prit forcément à croire qu'elle devait avoir une étrange, voire une funeste signification. Circonstance curieuse: chaque fois qu'elle s'imposait très fortement à lui, Charles, son compagnon, semblait spécialement distrait et fixait l'espace devant lui, d'un air concentré, tandis que lui-même se sentait la conscience comme envahie par une sensation de haine et de ruse... que, le voulût-il ou non, il ne pouvait arriver à bannir. » « Mais, cette vision, interrompis-je, quelle était-elle donc? »

    « C'était l'image de Charles, debout au chevet d'Ethel, l'étouffant dans un coussin, puis lui versant dans la gorge le contenu d'un petit flacon bleu. »

    Nous poussâmes des exclamations diverses. « Ce n'était là qu'une partie de la vision, continua-t-il. Vous en saurez le reste plus tard ; vous la décrire maintenant serait gâter mon histoire. « Trois jours se passèrent ; la vision meurtrière s'imposait de plus en plus à Sinclair et devenait une telle obsession, qu'il en eut enfin la certitude d'être en face non pas d'une simple pensée, mais d'une intention diabolique.

    Comment agir? C'était le problème qui torturait son esprit. Accuser un homme de vouloir assassiner sa belle-sœur est chose hasardeuse...

    En effet, - à quel mobile eût obéi cet homme en se débarrassant d'Ethel? Car je vous rappelle que la grosse partie de la fortune d'Henry devait échoir, à sa mort, à Charles lui-même. En outre, on n'avait pas le plus léger motif de croire que Charles et Ethel n'étaient pas en termes amicaux ; le bruit avait même couru, depuis peu, que Charles semblait témoigner à Ethel un peu plus d'égards que la correction n'en exigeait de la part d'un beau-frère.

    « Il y avait toutefois, pour Sinclair, un moyen d'intervention possible: avertir Ethel qu'il avait à son sujet un terrible pressentiment et la prier d'être spécialement sur ses gardes ou, mieux encore, de trouver quelque excuse pour s'en retourner à Londres immédiatement.

    Par malheur, il avait affaire à une femme non seulement très positive (et ayant, pour les impressions occultes, l'indulgent dédain que donne la complète ignorance du sujet), mais encore à une femme effroyablement entêtée. La première allusion qu'il fit à ses inquiétudes fut accueillie par les sarcasmes, d'ailleurs sans méchanceté, d'Ethel, qui l'accusa de se complaire dans des superstitions de vieille fille et des imaginations d'un romanesque démodé. Quant à formuler des conseils, il y renonça presque d'emblée, tant il y avait peu de chance qu'elle les suivît ; il n'insista donc pas.

    « En essayant d'avertir Ethel, il obtint cependant un résultat: la certitude qu'il ne se méprenait pas  sur les intentions de Charles. Ethel ayant, pour taquiner Sinclair, reparlé à table des pressentiments de celui-ci, il put constater l'effet produit sur Charles par ce genre d'entretien.

    Les yeux sans soupçon d'Ethel et d'Henry n'observèrent rien d'insolite, parce qu'ils ne cherchaient rien ; mais l'embarras manifeste de Charles n'échappa point au regard pénétrant de Sinclair. « Je vous ai dit qu'Ethel et Henry n'étaient pas en bons termes: vous ne serez pas étonnés qu'ils fissent chambre à part, logeant même aux deux extrémités de la maison.

    La chambre de Sinclair se trouvait à côté de celle de Mrs. Thompson, et la chambre de Charles à mi-chemin entre celles des deux époux. Toutes les pièces ouvraient sur le même long corridor. En dépit de sa conviction toujours accrue du danger qui menaçait Ethel, Sinclair - étant donné la manière dont avaient été accueillis ses « pressentiments » - savait qu'il serait vain de l'engager à verrouiller sa porte la nuit. Il sentait tout argument inutile. En revanche, il fit une chose qui peut paraître étrange et illogique ; il se creusa la cervelle, pour trouver un moyen de persuader Henry de s'éloigner de chez lui plusieurs jours consécutifs. »

    « Mais la vie d'Henry Thompson n'était pas menacée! » objectèrent plusieurs d'entre nous. « C'est justement le singulier côté de cette histoire. Attendez, vous verrez. D'abord, il songea à faire en sorte qu'un ami d'Henry lui adressât une dépêche fictive, réclamant, sous quelque prétexte, sa présence à Londres pour un temps assez long.

    Mais le prétexte étant trop difficile à trouver, Sinclair dut y renoncer. Quant à implorer Henry de quitter la maison simplement parce que lui, Sinclair, avait le pressentiment d'un danger menaçant son ami, le procédé eût été aussi inefficace qu'auprès d'Ethel. En fin de compte, il ne lui restait qu'une unique chose à faire: attendre et voir venir -mais en passant, cela va sans dire, des nuits blanches à faire le guet près de sa porte, pour le cas où les pas de Charles viendraient à se glisser sournoisement vers la chambre d'Ethel.

    « Même ainsi, la vie d'Ethel demeurait en danger. Si Sinclair empêchait Charles d'entrer dans la chambre - ce qui ne serait pas bien difficile - il n'aurait plus en mains de quoi fournir la preuve évidente de ses intentions criminelles.

    Quant à l'y laisser pénétrer pour le prendre, ensuite, en flagrant délit de meurtre, ce dernier moyen laissait à Charles la faculté de s'enfermer à clef avec Ethel et, s'il était dérangé, de se retrancher derrière l'aveu, bien moins grave, d'un prétendu adultère.

    « Pendant trois interminables nuits, Sinclair fit le guet, en apparence inutilement. Il n'y eut rien d'anormal. Il avait mis son fauteuil tout près de sa porte, qu'il poussa suffisamment pour que, du dehors, elle parût fermée.

    Puis, il s'était installé de façon que son oreille, placée contre l'entrebâillement, pût saisir le moindre son dans le corridor. « Au cours de la quatrième nuit, alors que, cédant à la fatigue, il était tombé dans une demi torpeur, il lui sembla entendre une voix parler dans sa propre tête... et, cependant, par un étrange phénomène, extérieure à lui-même.

    Cette voix disait, d'un accent impérieux: Éveille-toi, et agis!

    Il ouvrit les yeux dans un sursaut d'épouvante, car sa faiblesse eût pu coûter la vie à Ethel - et son regard rencontra, en face de lui, la silhouette d'un homme qui lui était bien connu... « Tu dois les sauver tous trois! » commandait cet être. « Glisse-toi dans sa chambre à elle, dissimule-toi derrière son lit - puis attends! Ferme ta porte et la sienne. Sois prompt, ne fais aucun bruit ». Ce fut l'affaire d'un instant que d'exécuter cette injonction. En entrant dans la chambre d'Ethel, il comprit, à son souffle régulier, qu'elle était, sans nul doute, plongée dans le plus profond des sommeils. C'était, heureusement, une nuit de pleine lune ; il pouvait distinguer chaque objet dans la chambre et ne risquait pas de buter contre un meuble et de réveiller la jeune femme. Très doucement, il rampa vers l'extrémité du lit la plus éloignée de la porte, et s'allongea à terre pour attendre. « Il passa cinq ou dix minutes à écouter « les battements de son cœur dans sa poitrine », comme disent les romans-feuilletons.

    Alors la porte s'ouvrit et se referma doucement... et des pas s'approchèrent du lit. Puis, ce fut le bruit mat d'un coussin de plumes appliqué sur un visage... En moins de trois secondes il s'était redressé, jeté sur Charles par derrière et, d'un coup brusque, avait précipité à terre le petit flacon bleu - tandis qu'Ethel elle-même, rejetant l'oreiller de sa face, se dressait violemment, sous le coup de la plus complète surprise... Ce qui se passa tout de suite après, Sinclair s'en souvient à peine, car il était engagé dans un double pugilat, en gestes et en  paroles, son principal effort visant à empêcher Charles de se ruer hors de la chambre avant qu'Ethel eût pu découvrir son identité.

    Il se rappelle le confus mélange de trois voix posant toutes la même question, tandis qu'Ethel bondissait hors de son lit pour faire jaillir la lumière.

    Puis, il se voit, débarrassé de Charles, le dos appuyé contre la porte de la chambre dont il garde l'issue, et se souvient qu'il implorait les deux autres de baisser la voix, pour éviter de réveiller les domestiques et de provoquer un scandale. « Vous devinez le reste: Charles, acculé, tenta de bluffer et s'y prit fort mal.

    Aux questions indignées d'Ethel concernant l'oreiller et le flacon de laudanum, il se tourna sans hésiter contre Sinclair, l'accusant d'une tentative de meurtre. Lui, Charles, avait perçu un léger bruit et, croyant à la présence de cambrioleurs, était sorti dans le corridor, juste pour voir Sinclair pénétrer dans la chambre d'Ethel. Alors il l'avait suivi... Mais Sinclair ne se laissa nullement intimider. S'emparant de l'oreiller gisant à terre, il le tint d'un bras ferme comme un étau. « Cela ne prend pas, dit-il ; cet oreiller vient de la chambre rouge ; il est même marqué: Chambre rouge. Ce flacon sort de la chambre d'Henry, et vous l'avez volé sur sa table de chevet. Niez, si vous l'osez: il sera facile d'appeler Henri pour le prouver! »

    « Mais Charles essaya encore de « crâner ». « Bonté divine, cria-t-il, pour quel motif aurais-je voulu assassiner ma belle-sœur? Supposez-vous qu'un jury va croire une pareille absurdité! » « Vous m'avez bien accusé, moi, il y a un instant, et cependant, quel mobile eût pu me pousser? Après sa mort, l'argent de la famille ne passera certes pas à moi! » - Telle fut la tranquille réponse de Sinclair. « Et croyez-vous que j'hériterais d'elle, imbécile! » ricana Charles. « Si j'avais voulu tuer quelqu'un pour avoir son argent, c'eût été plutôt mon frère! » « C'était précisément votre frère que vous vouliez atteindre! Vous alliez tuer votre belle-sœur, articula lentement Sinclair, en escomptant que votre frère serait pendu pour ce crime. » « Ici, Charles, vaincu, s'effondra. »

     

    Moreward fit une pause, comme s'il cherchait à se rappeler le reste de l'histoire. « Je ne vois pas très bien, dit l'un de nous, le rapport qu'il y avait entre cet oreiller et ce laudanum? » « Vous saisirez quand je vous aurai relaté ce qui se passa plus tard, répliqua Moreward en souriant.

    Ethel n'était rien moins qu'une femme émotive: les femmes émotives n'ont guère l'habitude d'épouser les hommes pour leur argent. C'était au contraire un type de femme dure et froide qui n'avait jamais donné le moindre signe de poltronnerie ou d'hystérie.

    Elle se montra simplement furieuse, pleine de la « colère du juste ». Elle voulait que justice fût faite, mais ne désirait pas exercer une vengeance ouverte, car elle répugnait beaucoup à ce qu'on la sût la belle sœur d'un assassin. Dès le début il fut clair pour elle que Charles était coupable, à tout le moins, d'un acte extrêmement lâche, car le contraste entre l'attitude des deux hommes était par trop frappant.

    Toutefois, jusqu'à ce que Sinclair lui eût expliqué le sinistre enchaînement de circonstances qui l'avaient amené à faire l'effort de la sauver, elle ne fut pas totalement convaincue de la foncière vilenie de son beau-frère. « La vision qu'avait eue Sinclair, et dont je ne vous ai décrit que la première partie, était l'image de Charles se glissant dans la chambre d'Henry, tandis que celui-ci sommeillait lourdement sous l'empire des drogues, dérobant le flacon de laudanum, étouffant Ethel dans son oreiller et lui ingurgitant le poison. Venait ensuite une scène de tribunal:

    Henry assis au banc des accusés, inculpé du meurtre de sa femme, et menacé de la pendaison. L'issue du procès eût-elle été la condamnation de cet innocent? Cela est difficile à dire, mais bien des faits parlaient contre lui. Henry et Ethel étaient connus pour vivre dans une discorde presque déclarée. En outre, Charles avait eu, les derniers temps, des attentions marquées pour sa belle-sœur, ce qui pouvait faire croire à la jalousie d'Henry et lui donner des raisons de vengeance contre sa femme. Si Sinclair n'était pas intervenu, on eût sans doute assisté à l'une des plus terribles erreurs judiciaires de notre temps. 

    « Ce qui se passa fut, heureusement, différent. Sinclair, ayant enfin convaincu Henry et Ethel de la culpabilité de Charles, on persuada celui-ci de quitter le pays en échange de la promesse de ne pas porter plainte contre lui. - Tel fut le dénouement de cette tentative d'assassinat, inspirée par la seule cupidité, génératrice de bien des tragédies ; - et c'est ici que finit mon histoire. »

     

    « Pas tout à fait! dit l'un de nous, car vous avez omis de nous dire qui était la forme humaine apparue dans la chambre de Sinclair? »

    « L'apparition? fit Moreward d'un air pensif ; mais ceci me semble de peu d'importance... » « Comment! mais c'est la moitié de l'histoire! » « Puis-je me fier entièrement à votre discrétion? » demanda-t-il d'un ton grave. Nous lui en donnâmes l'assurance. « Eh bien, l'apparition, c'était moi-même. » 

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    Chapitre 7

    L'échec de Daisy Templemore

    J'ai connu Daisy Templemore lorsqu'elle n'avait encore que neuf ans et, dès cet âge tendre, j'avais prédit, et d'autres avec moi, qu'elle serait plus tard audacieusement « flirt ».

    Il en fut bien ainsi.

    Dès l'âge de dix-sept ans, et jusqu'au moment où se passa cet épisode - dix ans plus tard - elle fut occupée par une série de flirts extrêmement poussés, auxquels ses fiançailles, à l'âge de vingt-six ans, avec un officier anglo-italien, ne mirent nullement le point final.

    Ce jeune homme, revenu des Indes, avait obtenu la main de Daisy - avec une bien petite portion de son cœur. Puis, il s'en retourna d'où il était venu, la laissant libre de poursuivre tranquillement son existence de flirteuse.

    Bien que j'eusse environ douze ans de plus que Daisy, et qu'elle fût une coquette fieffée, nous nous traitions en bons camarades ; j'ajoute que j'étais l'un des très rares hommes auxquels elle daignait accorder son entière confiance et auxquels elle faisait l'honneur de ne pas flirter avec eux. Très recherchée dans une certaine société londonienne - où personne n'eût songé à contester son esprit et sa joliesse - Daisy devait inévitablement y faire, tôt ou tard, la connaissance de mon ami au large cœur.

    Je ne fus même pas surpris d'apprendre qu'elle avait entamé de savantes machinations pour attirer à elle ce personnage si fort apprécié, mais si difficile à enjôler...

    Ici, je dois dire un mot de l'attitude de Moreward envers les femmes. Imaginons un instant la femme comme un beau paysage qui, en dehors de son charme, aurait l'humaine faculté de parler, d'éprouver de la joie, de souffrir... Moreward était, devant ce paysage, le spectateur qui contemple avec admiration et sympathie, mais sans nul désir de possession - qui, en d'autres termes, ne demande au paysage que d'être ce qu'il est. Telle était l'attitude de cet homme hautement évolué en face du beau sexe.

    Envers tout ce qui vit, il était animé de cette intense bienveillance que définit le mot amour ; Mais il ne demandait, à ceux avec qui il entrait en contact, rien de plus que d'être eux-mêmes, excepté, toutefois, lorsqu'il s'agissait d'une relation de maître à élève: là, il demandait (mais en usant d'une patience et d'une indulgence sans égales) certaines qualités qui devaient profiter avant tout au disciple lui-même.

    Et voici qu'à ma vive indignation, Daisy Templemore s'essayait vilainement à le séduire! En effet, voyant ses coquettes avances accueillies avec l'affectueuse cordialité qu'il témoignait au beau sexe, mais insatisfaite d'un traitement qui la mettait au niveau de n'importe quelle autre, elle recourut au moyen douteux de s'enrôler parmi les élèves auxquels Moreward enseignait la sagesse occulte.

    Moreward n'avait pas cette rigide fierté de certains Anglais qui redoutent de laisser voir leurs sentiments tendres. Lorsqu'une âme humaine pouvait retirer quelque bien du témoignage direct de son affection, il n'hésitait pas à la manifester, fût-ce à un homme, à une femme ou à un enfant. D'où les jugements sévères que portaient sur lui les pharisiens de salon ; mais leurs propos calomnieux exerçaient sur son calme esprit autant d'effet que le bêlement de quelques moutons.

     

    « La paisible et belle sensation d'aimer les autres, me disait-il un jour, perd quelque chose de sa valeur si nous ne leur en faisons pas part. Le contact d'une main sympathisante, l'étreinte d'un bras affectueux, peuvent réconforter un être qui souffre, plus que de nombreuses paroles ; l'absence d'expansion n'est trop souvent que de l'orgueil mal placé, dérivant de cette idée qu'aimer, c'est, en quelque obscure façon, s'abaisser. »

    Daisy parviendrait-elle à prendre Moreward dans ses filets? Voilà une question qui me préoccupait énormément: j'allais même jusqu'à mettre mon ami en garde contre ce caractère intrigant. Il se borna à rire, assurant qu'il ne se laissait pas facilement éblouir par la séduction féminine. Puis nous abandonnâmes le sujet. Mais, un jour, je rencontrai une certaine Miss Dickenson, qui se disait la seule amie féminine que possédât Daisy Templemore. Elle me tint un langage qui me replongea dans mes perplexités. 

    « Votre ascétique ami ne semble pas aussi invulnérable qu'il le prétendait », commença-t-elle. « Vraiment? Que se passe-t-il donc? » « N'avez-vous rien entendu dire au sujet de Daisy et de lui-même? » « Rien de particulier, non. » « Eh bien, mon cher, vous retardez beaucoup! »

    « Peut-être, convins-je, feignant de n'être que médiocrement intéressé. » « Ne savez-vous donc pas qu'il est amoureux d'elle et que Daisy en est, ou feint d'en être très troublée, à cause de son fiancé ? » J'étais, intérieurement, furieux. « Qui vous a rapporté cette histoire? » demandai-je vivement. « Mon Dieu, mais tout le monde en parle! »

     

    « Tout le monde clabaude, alors! » rétorquai-je. « Vous n'avez pas besoin de vous fâcher », répondit-elle. « Daisy continue donc son stupide petit jeu ; réellement, cela a cessé de m'amuser, repris-je avec irritation. C'est très gentil de flirter - mais lorsqu'elle veut nous faire croire, premièrement qu'un homme l'aime, et secondement qu'elle en est bouleversée, cela devient plus que ridicule! Je suppose que c'est elle-même qui vous a mise au courant de ce prétendu amour? » ajoutai-je plus tranquillement.

    Miss Dickenson hésita. « Oui, je vois ce qui en est », conclus-je.

    « Eh bien, je vous parie, moi, tout ce que vous voudrez, que Moreward ne songe pas à être amoureux d'elle! » « N'en soyez pas trop certain! » fit-elle. Je changeai alors d'entretien. La première fois que je revis Moreward Haig, je lui rapportai cette conversation sans lui cacher ma réelle inquiétude. Une fois de plus, il rit, d'un air de tranquille amusement et comme s'il n'eût vu que le côté comique de cette affaire. « Mon ami, dit-il enfin, votre indignation est généreuse, mais vaine ; pourquoi prendre la peine de vous tourmenter pour moi alors que je ne vois pas là le moindre sujet de trouble? » « Je ne savais pas... dis-je. Pareille ingratitude de la part de Daisy mériterait pourtant d'être châtiée. »

    « La loi de cause à effet se charge, par elle-même, de châtier les gens, dit-il calmement, en sorte que personne n'a besoin de punir son prochain par sa colère ou par tout autre moyen. »

    « Mais je ne puis laisser quelqu'un tromper un de mes amis... » persistai-je.

    « II peut être parfois utile d'intervenir, mais pourquoi prendre la chose au tragique? Si un chat miaule dans une chambre, sortez-le de la chambre, mais ne maudissez pas le chat: c'est dans sa nature de miauler, comme c'est dans la nature de certaines personnes d'être ingrates. »

    « Je voudrais bien être à la hauteur de votre philosophie », dis-je avec admiration. Il sourit en signe d'acquiescement, mais parut ignorer le compliment.

    « Rien n'est bouleversant en soi-même, poursuivit-il d'un ton pensif. Ce qui trouble un enfant ne trouble pas un adulte, parce qu'il est plus près du Bonheur absolu. Identifions notre esprit avec ce bonheur, qui est au-dedans de nous, et rien en ce monde ne pourra nous causer ennui ou chagrin. »

    « Idéal difficile à atteindre », fis-je sceptiquement. « Le temps et l'inclination peuvent tout accomplir. Quant à Miss Daisy, votre sympathie lui sera plus utile que votre indignation. » 

    « Comment cela? » fis-je étonné.

    « Elle souffrira bientôt de sa propre colère et de sa vanité blessée: car ses actes portent en eux mêmes leur châtiment. » Et il en fut bien ainsi, comme je ne devais pas tarder à l'apprendre. N'ayant pas revu Daisy depuis un certain temps, je me rendis chez elle un après-midi, et fus introduit dans son boudoir, où ne se trouvait heureusement pas d'autre visiteur.

    Elle était de méchante humeur et ne se donnait pas la peine de le dissimuler. Je lui demandai ce qu'il y avait: avec une perversité toute féminine, elle nia qu'il y eût quoi que ce fût. Je changeai donc de sujet, et cette simple tactique eut l'effet désiré. Après avoir découragé, par ses répliques monosyllabiques, tous mes essais de conversation, elle révéla brusquement le secret de son mécontentement.

    « Eh bien, il est gentil, votre ami! s'exclama-t-elle ; jamais je n'ai été traitée aussi indignement! » Je l'informai que je possédais un grand nombre d'amis, et qu'elle ferait bien de préciser. « Oh! je parle de votre sage, de votre mystique, de votre philosophe, ou je ne sais quoi encore! » répliqua-t-elle violemment. « Regardez cela! » Et, fouillant dans son petit sac, elle me tendit une lettre dont je reconnus sur-le-champ l'écriture. La lettre était ainsi conçue: « Mon amie, je crains que nos relations n'aillent à fin contraire si nous ne nous expliquons pas clairement sur nos intentions respectives. Plusieurs fois, ces dernières semaines, je vous ai donné - à mots couverts - de discrets avertissements que j'espérais que vous saisiriez sans autre: je voulais vous éviter le désagrément et l'humiliation d'une explication trop crue. Mon espoir a été déçu, et me voici contraint de vous écrire cette lettre, que je vous demande de me pardonner, pour vous dire que, désormais, vous ne serez plus mon élève en science occulte et recherche de la vérité spirituelle: car vous avez fermé de vos propres mains la première porte, qui conduit au Sentier de la Connaissance. A vrai dire, votre intention n'a jamais été de trouver cette porte, mais seulement d'arriver à une intimité plus grande, de nature spéciale, avec moi-même, en prenant pour atteindre votre but le prétexte de la recherche de la Sagesse Divine. Cette intention, bien que déloyale, eût été plus ou moins excusable (je parle de façon relative, car toute faiblesse humaine est compréhensible à un esprit vraiment tolérant) si c'eût été le véritable amour qui vous eût incitée, et non pas une indéniable et immense vanité. Cela étant, malheureusement, je ne saurais en aucune façon encourager un trait de caractère qui, inévitablement, vous conduira tôt ou tard à votre perte. Je me vois donc contraint de vous parler, cette fois, sans ambiguïté. Vous m'avez écrit trois fois des lettres pleines de reproches sur la rareté de mes visites, et aussi de mes invitations, soulignant que j'étais un professeur d'une part trop peu fervent à votre égard, d'autre part trop zélé à l'égard de Mrs. H., cette dernière - comme vous le donnez à entendre si généreusement -étant une élève peu intéressante, en raison de ce que vous et d'autres appelez « son passé ».

    Mon amie, laissez-moi vous faire observer qu'il y a « passés » et « passés », et qu'il sera beaucoup pardonné à ceux qui ont beaucoup aimé. Car j'ajoute qu'un cœur réellement aimant est la première des qualités requises pour trouver le sentier de la Connaissance. Vos innombrables flirts (je vous demande pardon d'y faire allusion) ne sont pas des « affaires d'amour », mais seulement des «affaires de vanité»: là est la regrettable distinction à faire. « Vous vous êtes complue à exciter les passions amoureuses des hommes sans avoir la moindre intention d'y répondre, et vous avez essayé le même jeu avec moi, mais sans succès, parce que les passions ne « mordent » pas sur celui qui place son intérêt dans des préoccupations plus profondes.

    Ce « passé » même, que vous jetez inconsidérément à la face d'une autre personne, est justement la chose que votre incapacité d'élan et d'oubli de vous-même vous a interdit de vous créer. Votre vanité vous pousse, en quelque sorte, dans deux directions opposées: d'une part vous avez l'incessant besoin d'entendre des paroles d'amour, mais d'autre part le besoin de ne rien donner en retour, afin de garder votre réputation intacte en posant à la reine inaccessible. « Les choses étant ainsi, puis-je, en tant que membre - d'ailleurs très modeste - d'une Confrérie qui travaille au progrès spirituel de l'humanité, et rien qu'à cela, consacrer mon temps à vous enseigner une sagesse que vous n'avez aucun désir d'acquérir? Si vous aviez ce sincère désir, votre vanité même ne serait pas un obstacle à mon effort d'initiation, car tôt ou tard elle tomberait 27 d'elle-même. Comme cette aspiration vraie n'habite pas en vous, je dois, à regret, me contenter d'être non plus votre « instructeur », mais simplement, et, malgré tout, sincèrement, Votre ami, J. M. H. » « Une lettre remarquable, fis-je brièvement, après l'avoir lue d'un bout à l'autre, si remarquable que j'aimerais bien la conserver. Mais, je suis surpris que vous me l'ayez montrée, car c'est vous, et non lui, qui en ressortez un peu noircie! » Or, à ce moment-là, Daisy Templemore fut si absorbée par l'extrême dépit que lui causa ma réflexion, qu'elle en oublia de me redemander sa lettre, laquelle repose aujourd'hui encore dans mon bureau... Quand je revis Moreward, je mentionnai le fait que j'avais lu sa lettre et fis quelques commentaires sur les reproches si mérités qu'elle contenait. Son attitude à l'égard de cette lettre et de Daisy ellemême me montra que si le blâme était sous sa plume, il n'était pas dans son cœur ; car, après m'avoir parlé d'elle avec une extrême gentillesse, il me conta une petite histoire de l'Inde: « Il y avait une fois un gros serpent qui vivait dans un arbre au bord de la route, s'amusant à attraper et à tuer tous les passants. Un jour, passa par là un grand sage, qui lui demanda pourquoi il se complaisait à de si cruelles actions, lui expliquant qu'elles ne pouvaient que lui attirer, tôt ou tard, la souffrance à lui-même. Le serpent promit de ne plus attaquer les gens, et le sage reprit sa route. Mais quelques mois plus tard, le sage, repassant par là, trouva le serpent dans un pitoyable état, et lui en demanda la raison. Le serpent dit: « O Grand Sage, j'ai suivi ton conseil, et vois-en le résultat! Dès que j'ai cessé d'attaquer les passants, eux m'ont attaqué et réduit à l'état où tu me vois. » -

     

    « Ah! fit le sage avec un sourire de compassion, je t'avais recommandé de ne pas les molester ; mais je ne t'ai pas défendu de les effrayer s'ils essayaient de s'en prendre à toi! »

    « Donc, votre lettre n'était destinée qu'à effrayer Daisy ? fis-je en riant. Mais, sûrement, vous avez dû deviner, dès le début, sa véritable nature? »

    « Oui, mais les déductions et les pronostics psychiques ne sont jamais infaillibles, dit-il doucement. Si, emmenant à la promenade un chien très belliqueux, vous en apercevez un autre à distance, vous parierez presque à coup sûr qu'un combat va s'ensuivre. Puis, après tout, rien ne se passe... car dix choses peuvent intervenir pour empêcher ce combat. » Je ris de la comparaison. « Ainsi, poursuivit-il, nous ne fermons jamais la porte définitivement sur quelqu'un, nous admettons que nos pronostics ont une chance de se montrer faux. - Malgré tout... je risque encore un pronostic: c'est que Miss Daisy sera, d'ici peu de temps, encombrée d'un « passé ». Elle va épouser son officier et sera divorcée dans moins de trois ans. » Et ce fut bien ainsi que les choses se déroulèrent.

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    CHAPITRE VIII

    La piété peu chrétienne de l'archidiacre Wilton

    Le Révérend Wilton était bien l'Archidiacre-type que l'on trouve décrit dans les romans anglais à six shillings: il avait coutume de faire, le soir, un excellent dîner arrosé de deux verres du meilleur vin rouge, était, conséquemment, d'une imposante prestance et entretenait un certain nombre de flirts spirituels avec les plus plaisantes de ses paroissiennes. J'ajoute qu'il s'exprimait avec une emphase tout ecclésiastique, ou, pour parler plus franchement, qu'il avait une haute idée de lui même. L'Archidiacre n'était pas un apôtre du célibat, car il avait pris femme à l'âge précoce de vingt et un ans.

    A l'époque où je fis sa connaissance, c'était un veuf, fort consolable, vivant avec sa fille, qu'au dire de ses paroissiennes, il chérissait comme « la prunelle de ses yeux », mais dont la présence dans sa maison avait eu malheureusement pour effet de développer chez lui un égoïsme peu compatible avec les vertus chrétiennes. En fait, son attachement à sa fille se traduisait en continuels essais de l'emprisonner entre les quatre murs de ses propres et fort étroites idées en matière de religion, de politique, d'art ou de littérature, tandis que, d'autre part, il opposait une subtile, mais absolue résistance à toute occasion qu'aurait eu sa fille de jouir de plaisirs moins abstraits, écartant d'elle toute intimité féminine (sans parler, cela va de soi, des intimités masculines).

    Ainsi que le disait Moreward, « il n'aimait pas sa fille, mais s'aimait lui-même à travers elle ».

    Aussi, bien qu'il attendît d'elle une grande affection et de fréquentes démonstrations de dévouement, tout ce qu'il en obtenait, c'étaient les peu sincères élans d'un sentiment assez tiède.

    Pour parler franc, Miss Wilton trouvait son père insupportable, car les pauvres petites joies qu'elle arrachait à la vie, elle ne les obtenait que par des efforts en sous-main, ou en affrontant le mécontentement paternel et ce qu'elle appelait familièrement d'« horribles attrappées ».

    Tous les soirs (à moins qu'une bonne fortune n'intervînt sous forme de la maladie d'un paroissien), l'Archidiacre, prenant le prétexte d'une affectueuse sollicitude, exigeait de sa fille l'énumération détaillée de ses actes de la journée, narration qui, on le croit aisément, se compliquait, si la nécessité s'en faisait sentir, d'un grand nombre de faux-fuyants, pour ne pas dire de mensonges. Cet état de choses sautait aux yeux de chacun (même des domestiques, qui adoraient Miss Wilton et l'aidaient de leur mieux), excepté aux yeux du père lui-même, qui vivait dans la félicité d'une paisible ignorance.

    Venons-en, maintenant, au détail important - pour moi du moins - de ce récit.

    J'étais un peu amoureux de Miss Wilton, et, trouvant les travaux d'approche très difficiles, en pareilles circonstances, j'appelai à mon aide l'ami toujours sympathique et secourable : Moreward. En vérité, cet inestimable ami s'astreignit à écouter les discours souvent pharisaïques, et plutôt ennuyeux, de l'Archidiacre, avec une constance qui excita ma plus vive et reconnaissante* admiration. A chacune de nos visites, il s'arrangeait pour retenir l'Archidiacre dans la salle à manger, afin de me laisser en tête à tête avec Miss Wilton.

    De quoi s'entretenaient-ils tous deux? Il ne m'en disait que peu de chose: je sais seulement que l'Archidiacre sortait de ces entretiens avec la figure très rouge. Je désire, je l'ai déjà dit, ne pas parler de ma personne. Le lecteur ne doit donc pas s'attendre au récit de mes amours avec Miss Wilton.

    Il s'agit ici, de la conversion de l'Archidiacre accomplie par Moreward et de la façon dont il s'y prit, d'après les renseignements que j'ai pu obtenir de lui. Nous avions coutume, après nos soirées à Ashford Gardens, où vivaient les Wilton, de rentrer à pied à travers le Parc. A la suite de notre premier dîner, Moreward me communiqua quelques-unes de ses réflexions.

    C'est un trait singulier de certains caractères, dit-il, que si vous leur donnez la preuve rationnelle de leur croyance, ils en sont véritablement choqués. » Fort intéressé, je poussai mon ami à en dire davantage. « Eh bien, j'ai passé une heure à tâcher de démontrer à l'Archidiacre la justesse de ses croyancesAu lieu d'être heureux qu'elles fussent de nature à comporter des preuves, il m'a simplement regardé comme un individu mal intentionné. »

    Je me mis à rire.

    « Il est convaincu qu'il y a une vie future ; mais chercher à s'enquérir où, quand et comment sera cette vie, lui apparaît une iniquité. Même la parole de saint Paul que je lui ai citée, sur la foi, qui est bonne en soi-même, mais meilleure encore quand elle s'allie à la raison, n'a pas eu le pouvoir d'ébranler son opinion. Il est, comme on pouvait s'y attendre, tout à fait ignorant du sens véritable des textes bibliques. »

    « Continuez, dis-je. Que lui avez-vous encore expliqué? »

    « Eh bien, il y a aussi la question de l'Amour. Non seulement l'Archidiacre n'a pas réellement l'amour dans son cœur - je puis le voir par son aura - mais encore, au fond de lui-même, il va jusqu'à penser qu'il n'est pas tout à fait bienséant d'aimer beaucoup qui que ce soit, excepté peutêtre sa femme et ses enfants. »

    « Et qu'éprouve-t-il à l'égard de Dieu? »

    « Ah, c'est justement là le hic: il prétend qu'on ne doit aimer que Dieu. »

    « Et le fait-il réellement? »

    « Comment le pourrait-il? Comment donnerait-on ce qu'on n'a pas en soi? » « Cela crève les yeux », dis-je. « Pour le retrouver sur son terrain, j'ai souligné que selon les paroles mêmes de sa religion, Dieu est amour ; qu'en conséquence, plus on accueille et cultive d'amour dans sa propre âme, plus on témoigne de Dieu et plus on est un avec Lui. »

    « A-t-il saisi cela? »

    « Je crains que non », dit Moreward en souriant. « J'ai tenté de lui faire comprendre qu'aimer Dieu, c'est s'identifier avec l'Amour absolu, qui doit forcément embrasser tous les humains, puisque l'Humanité est partie de Dieu. Mais même le beau verset: «A cela que vous vous aimez les uns les autres je saurai que vous êtes mes disciples », ne l'a pas convaincu. »

    « Et sa fille? » demandai-je.

    « Sa fille! il s'imagine qu'il l'aime, mais son amour n'est que pur égoïsme. Jamais il ne songe un instant à son bonheur à elle ; il est perpétuellement à trembler qu'elle ne se marie et le laisse seul... Il redoute même ses amitiés féminines. J'ai grand'pitié de lui, car c'est un homme malheureux ; je vous suis reconnaissant de m'avoir fourni l'occasion de tenter quelque chose pour changer sa triste conception de la vie. »

    Lors de notre promenade suivante au travers du parc, je compris d'après les remarques de mon ami, que sa conversation avec l'Archidiacre avait porté sur la charité.

    « La charité, me dit-il pensivement, est peu comprise, dès qu'il ne s'agit plus de donner de l'argent. Le verset biblique devrait être rendu par: « Mais la plus belle de toutes est la tolérance », car la tolérance, le respect d'autrui, est la plus précieuse de toutes les qualités. Il y aurait beaucoup à dire en chaire, il est vrai, sur la question du pardon ; mais si l'on prêchait davantage la tolérance, le pardon ne serait même plus nécessaire. L'homme véritablement tolérant n'a jamais besoin de pardonner dans le sens où l'entend le prédicateur, car son attitude envers les autres n'est qu'un incessant pardon: il les absout de leurs erreurs avant même qu'elles aient été commises. » Il réfléchit un moment, puis reprit :

    « L'amour parfait et la tolérance parfaite sont inséparables. Personne ne saurait aimer réellement quelqu'un et nourrir en même temps, à son égard, des sentiments de condamnation. Ce serait là une franche contradiction, car le blâme qui condamne n'est autre qu'un sentiment - quelque léger et momentané qu'il soit - de haine.

    La Bible le certifie: « Celui qui dit Raca à son frère est passible de la géhenne du feu. »

    « Et que pensez-vous du péché? » demandai-je.

    « Le péché? C'est, pour ainsi dire, une forme d'infantilisme ; pécher, c'est prendre, pour arriver au bonheur spirituel, le chemin détourné au lieu du chemin direct. Mais, qui condamnerait un enfant pour s'être conduit puérilement ? »

    Je le priai d'être plus explicite.

    « L'enfant ignorant met son doigt dans le feu, et il se brûle: il commet une erreur et apprend sa leçon par la souffrance. Pourquoi met-il son doigt dans le feu ? Pour trouver un plaisir, qu'il cherche dans la mauvaise direction... L'adulte est à peine plus sage ; il ne met pas son doigt dans le feu, mais il commet des faux... Puis, son crime découvert, il souffre, lui aussi. Le péché n'est rien autre que la recherche du bonheur sur une voie d'erreur ; les pécheurs ne sont rien de plus que des enfants - qui finiront par grandir. La tolérance, c'est l'acceptation de ce fait. »

    « Que pensez-vous du châtiment? » demandai-je.

    « Le châtiment n'est qu'une sorte de vengeance. Vouloir sévir contre son prochain, ce n'est qu'ajouter le mal au mal. Quant aux sanctions légales, je pense que les criminels devraient être réfrénés, réformés par la bonté et les bons exemples - mais jamais punis. »

    « Est-ce tout cela que vous racontiez, ce soir, à l'Archidiacre? » demandai-je, un peu amusé.

    « A peu près », dit-il tranquillement. Or, le dimanche qui suivit cette conversation, on me rapporta que le sermon de l'Archidiacre avait été le meilleur qu'il eût prononcé... Le fait est que Moreward avait opéré une conversion chez cet homme, et, lorsque je revis Miss Wilton, elle me raconta avec une joie naïve qu'un grand changement s'était fait chez son père. « Il devient beaucoup plus humain! » me dit-elle.

    Puis, un soir, un incident des plus désagréables se produisit, alors que nous passions la soirée à Ashford Gardens. J'étais, à vrai dire, si absorbé par Miss Wilton, que Moreward et l'Archidiacre purent entrer dans la chambre où nous nous tenions, elle et moi, peut-être un peu trop près l'un de l'autre, sans qu'aucun de nous deux s'aperçût de leur arrivée. L'Archidiacre eut l'air à la fois atterré et furieux.

    Sous quelque prétexte futile il envoya sa fille se coucher, puis laissa déborder une colère qu'il s'efforçait, mais en vain, d'empreindre de dignité.

    « Dois-je comprendre, bégaya-t-il, que vous profitez de mon hospitalité pour faire la cour à ma fille? Vous êtes-vous seulement informé de mes vœux à cet égard ? »

    Je me sentais, et avais, j'en suis certain, l'air extrêmement penaud, - tant et si bien que Moreward, me jetant un regard qui disait: « Laissez-moi faire! » prit ma cause en mains. « Voyons, voyons, fit-il, en posant sur le bras de l'Archidiacre une main pacificatrice ; un peu d'affection n'est pas un crime... Il faut la regarder plutôt comme une vertu. »

    Cette remarque déconcerta totalement le pauvre homme, qui marmotta quelque réponse incohérente. Puis, s'avisant d'autre chose: « Et la tromperie, Monsieur, qu'en faites-vous! s'exclama-t-il. Vous rendez-vous compte que ma fille et cet homme me trompent depuis bien des semaines? »

    Mais Moreward avait sa réponse prête, et la présenta avec la plus exquise tranquillité. « La tromperie, mon cher Archidiacre, n'est que l'arme que certaines personnes se voient contraintes d'employer pour leur défense, lorsqu'on exige par trop d'elles... » L'Archidiacre fit cliqueter son dentier en signe d'impatience. De nouveau, il se trouvait à bout de réplique.

    « N'avez-vous pas exigé de votre fille par trop de sacrifices et d'abnégation? continua Moreward du même ton très doux. N'avait-elle pas dû se priver de choses qui étaient à ses yeux parfaitement innocentes? Vous ne sauriez la blâmer de votre propre incapacité à la persuader que ces choses  étaient nuisibles. Avec votre connaissance de la nature humaine, vous pouvez, j'en suis sûr, vous mettre à sa place. N'est-il pas probable qu'elle a pensé en maintes occasions: « Je ne vois pas la raison pour laquelle je ne ferais pas ceci ou cela ; mais, comme mon père et moi nous ne pouvons nous mettre d'accord sur ce sujet, le mieux est que je ne lui dise rien, afin de ne pas l'agiter. »

    L'Archidiacre se calmait peu à peu, car personne ne pouvait demeurer longtemps fâché en présence de Moreward.

    « Dois-je croire, fit-il, sur un ton de reproche attristé, que vous avez été son complice? »

    « Oui, dit Moreward avec une feinte confusion, j'avoue que je suis aussi coupable. Je me suis efforcé - et il souriait -de faire, en quelque sorte, d'une pierre trois coups! »

    L'Archidiacre ne comprit pas l'allusion.

    « Mon cher Archidiacre, me pardonnerez-vous si je vous dis que j'étais navré pour votre fille, mes observations m'ayant prouvé qu'elle n'était pas heureuse et se sentait une prisonnière? »

    « Pas heureuse? Une prisonnière? » répéta l'Archidiacre avec quelque surprise.

    « Oui, bien que je sois sûr que vous êtes le meilleur des hommes, votre idée de ce que doit être le bonheur de votre fille diffère énormément de son idée à elle... »

    « J'ai toujours été un père tendre et remplissant tout son devoir ; j'ai toujours versé à ma fille une très large pension. Que peut-on me demander de plus? »

    « De lui accorder la jouissance de certaines choses que vous-mêmes n'êtes pas à même de donner », dit Moreward d'une voix persuasive.

    « Je ne comprends pas... » fit l'Archidiacre.

    « Vous pourriez, par exemple, lui accorder l'affection des autres, la liberté de pensée, quelque liberté d'action... En somme, vous pourriez lui permettre d'assurer son bonheur par ses propres moyens. »

    « Mais si je juge que sa manière de s'y prendre n'est pas la bonne? » « Alors conseillez-lui très affectueusement de se ranger à votre façon de voir ; mais, au cas où elle ne suivrait pas ce conseil, ne faites rien de plus. »

    L'Archidiacre se taisait, à court de réponse.

    « Quant à ma culpabilité en cette affaire, reprit Moreward, j'ai cherché premièrement à modifier votre conception des choses, parce que je sais qu'un changement de point de vue apporte souvent une certaine paix ; secondement, à prouver ma sympathie à mon ami en recherchant votre agréable société ; enfin, à rendre votre fille plus heureuse, en faisant en sorte qu'elle pût jouir de la tendre amitié d'un homme de noble caractère. Ce sont ces menus services auxquels je pensais, en disant que j'avais fait « d'une pierre trois coups ». Voulez-vous me pardonner? demanda-t-il en souriant, mais, avant tout, leur pardonner, à lui et à elle? Je ne doute pas un seul instant de votre indulgence, car savoir pardonner est le trait qui dénote le véritable chrétien. »

    Qu'eût pu faire l'Archidiacre - sinon pardonner ? Ou, tout au moins, faire semblant de pardonner ?

    La discussion avait été menée de façon qu'il ne pouvait garder du ressentiment sans se classer parmi les mauvais chrétiens. Quant à moi, j'étais assis, muet, admirant cette habile manoeuvre d'apaisement, et bénissant le sort qui me donnait ce calme champion pour prendre en mains une cause que j'eusse si mal défendue !

    - En fin de compte, je fus congédié avec quelques reproches, et l'on me donna à entendre qu'il n'était plus question, pour l'instant, de poursuivre mes avances. Inutile de dire que lorsque Moreward et moi nous rentrâmes à travers le parc, je débordai d'expressions de gratitude, gratitude qui devait encore grandir sous peu, à la suite d'une nouvelle intervention de mon ami. « Vous n'avez pas un désir particulier d'épouser Miss Wilton, ni elle de s'unir à vous, je suppose? »  me demanda Moreward quelques jours plus tard.

    Je lui dis qu'il devinait juste. « En d'autres termes, il s'agit d'une affection sentimentale, et non pas d'une passion? » J'acquiesçai encore. « Alors, la seule chose à faire, c'est de parler encore une fois au père, et nous verrons comment les choses s'arrangeront. »

     

    Chapitre IX

    La philosophie de la mort

    Après plusieurs entrevues entre Moreward et l'Archidiacre, au cours desquelles mon ami l'assura que je n'avais nulle intention de lui enlever sa fille, il fut décidé qu'aucun obstacle ne serait mis à notre amitié, à condition qu'à l'avenir « je me conduirais décemment ».

    En effet, nulle entrave apparente ne nous fut plus opposée ; mais, en revanche, un grand nombre de petits empêchements, dont le principal était que je ne fus plus invité à dîner chez le Révérend.

    On ne défendait pas à Miss Wilton de recevoir mes visites, de répondre à mes lettres, ni de me parler si nous nous rencontrions chez d'autres personnes - mais elle était tenue d'en informer chaque fois son père. De plus, pour prévenir les défaillances de mémoire de sa fille, l'Archidiacre lui demandait tous les soirs si elle m'avait vu, si elle avait reçu quelque chose de moi, etc., etc.

    La réponse était elle oui, il manifestait sa mauvaise humeur durant toute la soirée ; était-elle non, il n'ajoutait plus rien.

    En bref, l'Archidiacre se comportait comme un enfant - ou plutôt, dirons-nous, comme une femme sottement déraisonnable souffrant de jalousie conjugale.

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    Les choses allèrent ainsi quelque temps, jusqu'à ce qu'un léger incident leur donnât une autre tournure. Miss Wilton m'avait acheté un présent d'anniversaire, mais avait omis, à dessein, d'en informer son père.

    Or, ce dernier connaissait par hasard la date de ma naissance, à laquelle j'avais fait allusion, certain soir, parce qu'elle coïncidait avec un événement historique intéressant vivement l'Archidiacre.

    « As-tu fait un cadeau d'anniversaire à Broadbent? » demanda-t-il fortuitement à sa fille, instruit par cette trop fidèle mémoire. Elle ne put répondre que par l'affirmative: il s'ensuivit un déluge de reproches qui la poussa, finalement, à s'insurger contre son père et à lui dire très nettement ce qu'elle avait sur le cœur.

    Lorsque Moreward lui rendit visite, il trouva l'Archidiacre gonflé de ressentiment à l'égard de sa fille, dont il stigmatisait l'impardonnable dissimulation. Moreward l'écouta avec grande sympathie, puis - comme il me le dit plus tard -il entreprit de pousser plus avant l'éducation de l'Archidiacre. « Je n'ai pas mis d'opposition à cette amitié, disait celui-ci, avec amertume, et c'est tout le remerciement que j'en recueille. Je suis devenu un étranger pour ma fille. »

    « L'opposition peut prendre deux formes différentes, dit Moreward en lui souriant gentiment: elle peut être ouverte ou, au contraire, très subtile ; peut-être la vôtre était-elle de cette dernière sorte? »

    « Comment cela? » dit le père, feignant l'incompréhension.

    « Eh bien, ne faites-vous pas expier à votre fille toutes ses confidences par votre... comment dire? par votre manque de sympathie? » L'Archidiacre garda le silence.

    « Voyez-vous, il lui faut payer l'amitié qu'elle a pour Broadbent de l'inconfort que répand votre perpétuel déplaisir et de l'impression de votre mécontentement redoublé, lorsqu'elle vous fait les révélations qui lui sont arrachées par vos incessantes questions. En un mot, et, pour employer un terme d'argot, la pauvre fille est « refaite » sur toute la ligne. »

    « Hum! » toussa l'Archidiacre. « Aussi me pardonnerez-vous, je suis sûr, de vous dire que c'est votre attitude qui est responsable de l'éloignement de votre fille pour vous ; Charles n'est, en l'occurrence, qu'une quantité négligeable. »

    Cet argument sans réplique et le ton gentiment persuasif de Moreward laissaient peu de chose à répondre. Aussi l'Archidiacre se contenta de regarder le feu avec une expression méditative.

    « Voyons! fit Moreward, encourageant et enjoué, tout ceci ne serait-il pas, en somme, une heureuse occasion qui vous est offerte de vous rapprocher l'un de l'autre, votre fille et vous ?

    Accordez-lui de jouir pleinement de l'amitié à quoi elle tient tant ; vous avez tout à y gagner: son  amour accru, sa gratitude, son admiration. Défendez-la lui - et vous perdez tout: car personne ne saurait aimer réellement quelqu'un qui agit en geôlier - fût-il même son père! »

     

    Le résultat de cette entrevue (que j'ai pu reconstituer d'après les récits de Moreward) fut qu'après quelques débats intérieurs, l'Archidiacre vit la sagesse de ses discours et résolut d'essayer de suivre ses conseils.

    Y serait-il parvenu ? Personne ne saurait le dire, car, une semaine plus tard, une attaque d'apoplexie l'emportait en moins de deux jours. Moreward lui-même m'apporta la nouvelle et s'y prit avec précaution, sachant qu'elle serait pour moi un choc ; puis il me tendit la lettre de Miss Wilton.

     

    Celle-ci disait: « Cher et bon ami, je viens vous apprendre une terrible nouvelle. Père a eu une attaque, et les docteurs disent qu'il n'en a plus que pour deux jours. Je vous en prie, venez. C'est vous qu'il demande. Prévenez Charlie. J'aimerais beaucoup le voir, mais ne puis lui demander de venir maintenant ; je sais que cela blesserait père.

    Demandez-lui de m'écrire, de me réconforter. Je ne puis en dire plus, je suis trop émue... « Toute à vous. Gertrude Wilton. »

    J'étais plein de pitié pour Gertrude, et d'une sorte de remords pour le chagrin que j'avais causé à son père. Moreward devina mes sentiments. « Ne vous tourmentez pas, mon cher, dit-il, posant la main sur mon épaule, vous avez fait, indirectement, un grand bien à cet homme. » Lui parti, je me mis à écrire page sur page à Gertrude. C'est ainsi que le grand dignitaire de l'Église d'Angleterre, au lieu de faire appeler l'un de ses collègues pour l'assister dans ses derniers moments, réclama la présence d'un homme qui ne professait aucune religion spéciale, bien qu'il crût en toutes.

    Car Moreward possédait la véritable philosophie de la mort, qui est force et consolation. Il croyait à l'état de pleine conscience où nous sommes après la vie, parce qu'il le connaissait et avait le pouvoir de se transporter sur ce plan, tandis que son corps restait sur la terre.

    Bientôt, je compris pourquoi, indirectement, j'avais pu faire un réel bien à l'Archidiacre. C'était moi qui avait introduit Moreward dans sa vie, bien que ce dernier, toujours modeste, n*eût fait qu'une légère allusion à ce fait, dans son désir de me rassurer. Il me dit, plus tard, que j'avais servi de stimulant pour ouvrir l'esprit de l'Archidiacre, lui enseigner à voir la vie d'un point de vue moins restreint - donc moins égoïste, ce qui lui serait d'un grand secours sur le plan de conscience où il se trouvait maintenant.

    Je ne puis décrire la mort du père de mon amie, puisque je n'assistais pas à ses derniers instants ; mais Moreward me dit que, vers la fin, le père de Gertrude perdit toute crainte de la mort: quand il fut face à face avec elle, il se montra heureux d'apprendre tout ce qui touche à l'après-vie. Les spéculations du clergé, reposant sur de seuls ouï-dire, pâlirent devant la connaissance directe de l'occuliste.

    « Nous mourons pour ainsi dire chaque nuit, à l'heure du sommeil, me dit à ce sujet Moreward, et revenons à la vie au matin. L'homme ordinaire ne se souvient pas du lieu où il est allé, mais l'occultiste exercé le sait. Lui seul, en établissant - par la force de son entraînement spécial -le lien entre son cerveau physique et son corps astral, arrive à se rappeler tout. »

    Je lui demandai quelle sorte d'existence le père de Gertrude avait désormais devant lui. « Une existence relativement monotone, dit-il. Sans manquer de charité, nous devons constater les faits: les jouissances de l'Archidiacre ici-bas ont été surtout matérielles ; les quelques plaisirs qu'il avait provenaient des sens ou de la vanité.

    Il va de soi qu'il n'est plus question de nourriture ou de boisson dès que nous avons rejeté notre corps grossier, et que personne, sur l'autre plan, n'a de titres spéciaux à l'adulation des autres. Aussi, vivre ici-bas sans aimer est une infortune, qui poursuit l'homme après sa mort.

    Le credo de l'égoïste, mon ami, est le credo le plus redoutable, car, être privé d'amour dans la vie future, c'est à peu près comme être privé de respiration dans celle-ci: une demi-vie! C'est pourquoi la femme adultère est plus près du Royaume des cieux que le pharisien sans amour.

    La mort ne transforme nullement le caractère d'une personne. » 

    « Continuez », demandai-je.

    « Le corps physique est pareil au manteau dont on aurait fait présent à un misérable mendiant. Quand le manteau est écarté, toute la misère apparaît dessous: le manteau n'était qu'un trompe l'œil. Ainsi, l'homme intérieur peut se trouver revêtu d'un corps admirable ; mais, une fois cette enveloppe rejetée, toute sa pauvreté d'âme est mise à nu.

    Seuls les riches en amour ne seront pas des mendiants après la mort.

    C'est pourquoi j'encourage chacun à aimer, ainsi que je l'ai fait pour vous et pour Gertrude. Bien entendu, les pharisiens ignorants diront que je ne fais qu'encourager le flirt ; laissons-les parler, car là où l'ignorance abonde, abondent les jugements qui condamnent. »

    Les funérailles de l'Archidiacre furent célébrées en grande pompe, et Moreward me confia avec une expression amusée qu'il pouvait voir le corps astral du défunt, contemplant ce spectacle avec grande satisfaction.

    « Si l'on était logique, me dit-il après la cérémonie, on trouverait ce morne déploiement de tristesse ridicule, du point de vue chrétien. C'est un peu comme si les gens s'habillaient de noir et versaient d'abondantes larmes lorsqu'un des leurs part en vacances.

    Regardez ces paroissiens, qui pensent que l'Archidiacre est monté dans la félicité éternelle: ils se lamentent sur ce qui devrait les réjouir! Mieux encore: ils recouvrent de fleurs ce corps qui n'est plus lui, en dépit du fait que, toute leur vie, ils ont entendu répéter que le corps n'est qu'une enveloppe de chair et l'âme de l'homme son être véritable.

    J'avoue que l'illogisme des humains me confond... » Quel profond réconfort la présence de Moreward dut être pour Gertrude dans les semaines qui suivirent, seul un occultiste peut se l'imaginer !

    Par l'occultisme, il entra en communication avec le défunt, et transmit à Gertrude des nouvelles qui bannirent bientôt, pour elle, toute idée de séparation.

    « Comme tout est différent, ici, de ce que j'attendais! dit, un jour, l'Archidiacre à Moreward. Le seul fait d'être délivré de ce corps encombrant est déjà en soi-même un délice! Malgré tout, je regrette de ne m'être pas fait plus d'amis sur la terre. Les gens d'ici sont environnés d'un tel rayonnement d'amour, qu'ils me donnent l'impression d'être moi-même presque un pauvre. Pendant un temps assez long, je n'ai pas compris que j'étais mort... puis je me suis rappelé ce que vous m'aviez dit là-dessus.

    Dites à Broadbent que, bien qu'il m'ait fait souffrir, je suis heureux, maintenant, qu'il vous ait fait connaître à moi. Après tout, il avait raison, d'aimer Gertrude !

    Ma mère et ma chère femme sont ici, très affectueuses pour moi ; et puis, vous venez souvent me trouver, ce qui me semble le plus étrange de tout, puisque vous êtes encore ce que les gens de la terre appellent un « vivant ». Or, sur mon âme, c'est bien nous, qui sommes réellement en vie! »

    Ici finit l'histoire de la mort de l'Archidiacre. Quant à sa fille et moi-même, nous sommes demeurés de loyaux camarades, le côté sentimental de notre affection étant tombé. La vérité est que je suis resté longtemps aveugle au fait qu'elle s'était profondément attachée à Moreward ; et, même son récent mariage avec un avocat ne l'a pas empêchée de me confier qu'elle aimait toujours « l'homme le plus sage et le plus noble qu'elle eût jamais connu... » 

    Chapitre 10

    L'affliction du major Buckingham

    Mon vieil ami, Wilfred Buckingham, ayant été très, éprouvé par un drame conjugal, l'idée me vint que si un être vivant pouvait lui apporter réconfort et conseil, cet être était Moreward.

    Je lui demandai donc d'intervenir dans cette affaire: après quelques hésitations de la part de Buckingham, je mis en rapport les deux hommes, qui furent bientôt en termes amicaux.

    Voici ce qui s'était passé: Buckingham avait épousé assez jeune une femme du même âge que lui, avec laquelle il avait vécu seize ans d'un bonheur passable. Les jours avaient coulé de manière assez unie, et sans que l'un ou l'autre des époux eût jamais « regardé quelqu'un d'autre » comme l'on dit.

    Mais vint le dangereux âge de quarante ans et Mrs. Buckingham se prit soudain d'une passion pour un intime ami de son mari: on imagine aisément les complications qui s'ensuivirent. Les amants purent se voir pendant quelques mois sans être découverts ; mais la situation devenant inextricable, Mrs. Buckingham avoua tout à son mari, quitta le foyer et - comme elle n'était pas sans argent - prit un petit appartement de son côté, de façon à vivre une existence sans entraves.

    Comme on le suppose, Buckingham, délaissé, fut la proie de mille émotions: jalousie, rage, vanité blessée et autres sentiments moins définissables déchiraient cette âme encore assez peu évoluée.

     

    A l'instar de ceux qui voient mourir, autour d'eux, sans jamais songer que cela leur arrivera aussi, il avait assisté à d'autres tragédies domestiques sans supposer un instant qu'il pût jamais être la victime d'un malheur analogue. En sorte que, lorsque le coup le frappa, il se trouva tel un enfant jeté dans une eau impétueuse: incapable de nager.

    Moreward eut comme première idée d'encourager le Major à venir chez lui autant qu'il le voudrait pour déverser librement ses chagrins dans l'oreille sympathique de son hôte - et dans la mienne aussi, lorsque j'étais présent. C'est à ces entrevues que je dois de connaître les vues remarquables et - à mon sens - noblement dépourvues d'égoïsme, de mon ami Moreward sur le mariage.

    Je ne me dissimule pas que ces opinions peuvent scandaliser les esprits orthodoxes, car, ainsi que Moreward le disait lui-même, les gens du type conventionnel s'accommodent mieux d'un désordre plus ou moins admis par l'opinion publique que d'une vertu peu ordinaire.

    Mais, en chroniqueur sincère, je ne saurais rabaisser mes impressions à des platitudes afin de plaire à la majorité: mon devoir est d'être fidèle à mon maître - puis à moi-même.

    Dans la petite maison de Moreward, qui avait - avec le confort en plus - quelque chose de la paisible atmosphère d'une cellule de moine, nous étions assis le soir, regardant le feu, car c'était l'automne, jusque bien tard dans la nuit. Le Major, lorsque le récit de ses malheurs lui inspirait un accès d'éloquence, se levait pour marcher fiévreusement de long en large.

    Moreward, assis dans son fauteuil à dossier droit, les extrémités de ses longs doigts élégants se touchant, semblait, comme cela lui arrivait si souvent, incarner l'esprit d'amour et la sérénité d'âme. Il m'arrivait de croire que le Major était un enfant de six ans, bien qu'en réalité il eût l'air plus âgé que Moreward - et Moreward lui-même un homme de soixante ans contemplant, avec une tendre indulgence, un bambin qui conte ses puérils chagrins. Je dois même avouer qu'à l'occasion d'une des explosions de Buckingham, je ne pus m'empêcher de sourire.

    Après quelques mois de liaison avec mon imperturbable et philosophique ami, les manières de voir du Major me frappaient comme quelque chose d'essentiellement primitif. C'étaient des sentiments que notre race eût dû avoir dépassés, un enfantin sens de la possession nettement incompatible avec l'évolution humaine. Mais comment transformer cet homme ?

     

    C'était là le problème - et, un jour, Moreward se risqua dans cette hasardeuse entreprise. Le Major, après avoir de nouveau vidé son cœur et répété pour la centième fois ses intentions, conclut en disant: « C'est assommant pour vous autres, d'avoir à écouter tout cela ; mais cela m'a fait un bien insensé de pouvoir me « dégonfler », et je suis bien reconnaissant de vous avoir.

    D'ailleurs, je vais faire la croix sur cette histoire ; en parler n'avance à rien. Mais si vous, mes amis, avez quelque chose à me suggérer, je suis prêt à en tenir compte. » « Cela va donc mieux ? dit Moreward doucement.

    Nos pensées et nos émotions sont un peu  comme les singes: il faut à tout prix les laisser s'ébattre quelque temps ; puis, quand elles sont fatiguées de s'agiter, l'instant est venu de saisir l'occasion. »

    Le Major eut un sourire amer. « Vous savez que vous avez notre profonde sympathie, reprit Moreward ; mais elle ne vous servira de rien si l'on n'y joint quelque chose d'effectif. Voyons si nous pouvons vous aider! » « Et comment, au nom du ciel! » fit le Major, l'air bourru. « Eh bien, n'avez-vous jamais observé qu'une certaine manière de prendre les choses vous garantit contre beaucoup de tourments? » « Non », fit le Major.

    « C'est pourtant ainsi, et ce que nous voudrions essayer de faire, c'est de changer votre conception des choses. » « Ce sera diablement dur! » observa le Major. « Mais cela vaut bien l'effort. Vous êtes un homme brave, Major. Vous vous êtes montré un héros dans la guerre des Boers, où il fallait le courage physique: vous allez aussi agir en héros, dans cette guerre conjugale, qui exige le courage moral. » « Je ne saisis pas... », fit le Major. « Eh bien, voici: Vous êtes-vous jamais demandé si votre femme vous aimait toujours? » « A quoi bon se le demander?... Puisqu'elle est tombée amoureuse d'un autre homme! »

    « Alors, selon vous, si Broadbent, ici présent, s'amourachait d'une femme, il perdrait toute affection pour moi, par exemple? » « Les deux choses n'ont aucun rapport! » fit le Major brièvement. « Exactement la réponse que j'attendais. Pardonnez-moi d'être un peu cru, mais, comme beaucoup d'autres, vous êtes hypnotisé par les vieilles rengaines de ceux qui n'ont jamais vu le vrai fond des choses. La différence n'est pas si grande que vous croyez: si vous et votre femme avez vécu vingt ans ensemble, un élément d'amitié doit s'être formé entre vous deux ? »

    « Oui, je le crois. » « Quand vous êtes devenu amoureux de votre femme, vous rappelez-vous à qui vous l'avez dit en premier lieu? » « Je suis allé trouver mon vieux Wilkins. Pauvre diable, il a été tué près de Ladysmith ! »

    Moreward sourit. « Vous avez été tout de suite chez votre meilleur ami et vous vous êtes ouvert à lui ; et loin de perdre votre affection pour lui en devenant amoureux, vous avez senti que vous ne l'aviez jamais si bien aimé ? »

    « Maintenant que vous en parlez... je crois que c'était bien ainsi. » « Mais, à supposer que votre ami, au lieu d'accueillir votre confidence avec sympathie et compréhension, l'ait entendue avec irritation ? »

    « Eh bien, je l'aurais envoyé à tous les diables! » « C'est exactement ce que vous avez fait à votre meilleure amie - à votre épouse, dit Moreward avec un sourire aimable. Major, reprit-il plus vivement, vous avez laissé échapper l'une des plus belles occasions de votre vie conjugale... mais il n'est pas trop tard pour réparer. »

    Le Major, plutôt lent d'esprit, eut l'air étonné. « Vous avez manqué la plus belle occasion de sympathiser avec votre femme... », expliqua tranquillement Moreward. « Sympathiser!... éclata le Major. Ah bien oui! Je veux être plutôt pendu! » 

    Nous nous mîmes à rire tous les deux. « L'idée est peut-être un peu... renversante pour vous, dit Moreward. Mais, croyez-moi, je suis sérieux. Sympathiser avec votre femme, ce serait agir vraiment en héros moral ; et il y a plus: je puis vous assurer que vous en recueilleriez la récompense. » « Vous voulez dire que je devrais, sans même sourciller, permettre à ma femme d'avoir un amant? Merci beaucoup! J'aurais l'air d'un splendide âne. Et quelle sorte de moralité impliquerait un tel geste, je vous prie? » « Il faut faire une grande différence entre un homme qui permet à sa femme d'avoir un amant, dit Moreward doucement, et celui qui, lorsqu'il apprend qu'elle en a déjà un, lui pardonne, parce qu'il sait que la passion a été plus forte qu'elle. Pourquoi, cher ami, condamnez-vous sa faiblesse à elle, qui la rend incapable de renoncer à cet homme, et ne condamnez-vous pas la vôtre, qui vous rend incapable de lui pardonner? »

    Devant cette question sans réplique, le Major garda un silence un peu honteux.

    « Vous avez peur de passer pour un âne, poursuivit Moreward avec calme ; je crains qu'aux yeux du monde il n'y ait, entre le sot et le héros, que l'épaisseur d'un cheveu...

    Mais le vrai héros n'en a cure, ayant la vérité pour lui. Voyez-vous s'il plaît au sot, gonflé de vanité, de passer pour un héros, il ne déplaît pas au héros, parce qu'il est sans vanité, de passer pour un âne. » Ce truisme, ingénieusement présenté, plaçait le Major devant un dilemme embarrassant...

    Aussi, avec tact et promptitude, mon ami changea-t-il de sujet. « Mais mon cher ami, vous êtes au bout de votre cigare! Je manque à tous mes devoirs. Laissez-moi vous en donner un autre. » Et il alla chercher sa boîte à cigares.

    Ce soir-là, après le départ du Major, Moreward me dit: « Les subtiles notions de la vertu doivent s'instiller goutte à goutte: si vous en donnez trop à la fois, le sujet est incapable d'assimiler. Tout au moins, avec celui-ci, avons-nous déjà fait une première avance. »

    Le jour suivant, je fus envoyé en mission auprès de Mrs. Buckingham. La connaissant assez bien, je me rendis chez elle sans grande appréhension. Elle n'était pas femme à m'en vouloir de lui parler tout à fait franchement. Il était même probable - si j'avais justement deviné - qu'elle accueillerait avec soulagement cette occasion de libérer son cœur. Je ne m'étais, heureusement, pas trompé.

    Elle me reçut très cordialement, entama d'elle-même le sujet brûlant et me donna, sur l'ensemble de la question, des informations dont je lui fus très reconnaissant, désireux que j'étais d'aider Moreward à arranger cette triste affaire.

    Comme il l'avait justement supposé, Mrs. Buckingham gardait à son mari beaucoup d'affection, tout en étant, momentanément, emportée par l'intensité de sa passion.

    C'est de mon chef que j'écris « momentanément », car elle n'eut pas un mot qui pût faire penser qu'elle entrevoyait une fin possible de son grand amour.

    Ses sentiments pour les deux hommes étaient, dit-elle, profonds et durables, bien que de qualité différente. L'amitié résultant de vingt ans de vie commune ne pouvait mourir en un jour, et si son mari eût fait le moindre effort pour comprendre son état d'esprit présent, les relations eussent pu être tout autres entre eux. Au lieu de cela, il s'était rendu insupportable à vivre. Elle me donna même à entendre que, son sentiment pour son mari étant moins égoïste et moins sensuel que le sien pour elle, le nouvel amour entré dans sa vie ne lui nuisait en rien.

    Elle était très irrésolue quant à l'avenir, mais déclara qu'il y avait une chose qu'elle ne ferait jamais - c'était de vivre ouvertement sous le même toit que son amant.

    Le Major habitant la campagne, il ne paraîtrait pas très singulier que sa femme eût un appartement en ville... Je savais qu'il était vain de lui suggérer de renoncer à son amant et de tenter de reprendre la vie avec son époux, aussi n'en soufflai-je pas mot. Elle me remercia chaleureusement d'avoir eu le tact de m'en abstenir, disant qu'elle n'avait pu agir autrement, que c'était plus fort quelle.

    Elle souffrait de ce que son mari la regardât comme une ennemie et souhaitait ardemment qu'ils pussent « redevenir amis ». Je rapportai cet entretien à Moreward, qui téléphona au Major, le priant à dîner chez lui quelques  jours plus tard.

    Quand le Major eut appris de ma bouche - car j'étais aussi présent - ce qui s'était dit entre sa femme et moi, et lorsqu'il eut donné libre cours à ses émotions contradictoires, Moreward tenta de poursuivre son éducation en supramoralité.

    « Voyez, cher Major, votre femme vous aime encore, et son affection doit être vraie et profonde, si elle peut tomber amoureuse d'un autre et tenir encore à vous. Comme je vous l'ai dit l'autre soir, vous vous êtes laissé hypnotiser par l'idée qu'un amour en tue forcément un autre. Ce n'est pas exact. Le critérium de l'amour vrai, c'est qu'il survit à la naissance d'une nouvelle passion. »

    Le Major trouva le raisonnement très ingénieux, mais il se laissait difficilement convaincre.

    « Vous pouvez tabler sur les paroles mêmes de votre femme », insista tranquillement Moreward. « Comment sais-je si elle ne ment pas? » fit sèchement le Major. « D'abord, m'interposai-je, il est assez difficile de déceler le mensonge, et, ensuite, je ne vois pas dans quel but elle mentirait. »

    Le Major haussa les épaules. « Vous pouvez avoir raison... », dit-il, malgré tout sceptique. « Allons, mon ami, reprit Moreward toujours plus persuasif, essayons d'envisager la chose d'un point de vue héroïque et pratique à la fois! Tout d'abord, votre profonde détresse montre que vous ne désirez certes pas perdre votre femme. Ensuite, vous voudriez éviter un scandale: or, vous m'avez dit que l'homme dont elle s'est éprise a déjà eu plusieurs histoires de ce genre et que, tôt ou tard, il la plantera là, sans doute. Ainsi vous avez, de plus, le désir de lui venir en aide. »

    « Je ne trouve pas qu'elle le mérite », marmonna le Major d'un air grognon.

    Moreward sourit, et parut ignorer la remarque. « Avant tout, vous aimeriez regagner son amour. Alors, il n'y a qu'une chose à faire: la reprendre avec vous, lui témoigner de la sympathie, de l'affection, de la compréhension - et puis attendre que votre heure vienne... »

    « Ne croyez pas que je vais faire cela! » cria le Major.

    « A votre place, mon ami, j'y serais enclin. Il n'y a réellement que cette solution, à moins que vous ne vouliez la perdre pour toujours, et, en créant un scandale, la mener à sa ruine (puisque, vous me l'avez dit, vous refusez le divorce). »

    Le Major regardait le feu d'un air sombre. « Je suppose que vous avez réellement aimé votre femme? dit Moreward après un silence. (Le Major fit un signe d'assentiment).

    Alors, n'avez-vous jamais pensé que l'amour vrai se préoccupe avant tout du bonheur de l'aimée? Et cela, même si ce bonheur, elle doit le trouver auprès d'un autre ? » « Je ne suis pas un saint », fit brièvement le Major. - Et pourquoi ne pas en être un ? - C'est trop infernalement difficile. - Non pas, si vous savez trouver le juste point de départ! »

    Le Major se tut. Son esprit se refusait à atteindre de pareilles altitudes morales ; il ne voyait, dans ce point de vue, qu'immoralité: si souvent les extrêmes se touchent !

    Moreward n'insista plus ce soir-là, mais reprit le sujet en une autre occasion - et, cette fois-ci, il mit si bien en œuvre toute son éloquence persuasive, qu'il gagna enfin la partie.

    « Qu'est-ce, en somme, que le mariage, dit-il, après quelques préliminaires, et que devient-il avec le temps ?

    L'homme ordinaire entre dans cet état avec un mélange de sentiments romanesques et de passion physique ; puis, le romanesque meurt, la passion décroît, se transformant en une simple habitude des sens. A leur place s'installe l'amitié ou l'indifférence. Si c'est l'indifférence, ne semble-t-il pas absurde qu'un homme se laisse bouleverser par le fait que sa femme tombe  amoureuse d'un autre?

    Si c'est l'amitié, n'est-ce pas tout aussi déraisonnable, puisque la véritable amitié se trouve considérablement augmentée du fait qu'elle assume le rôle de confidente ? Vous même avez admis que vous n'aviez jamais si bien aimé votre ami (celui qui est mort près de Ladysmith) que le jour où vous avez pu lui confier votre roman sentimental.

    Que faut-il en conclure? - Que si vous aviez su sympathiser avec votre épouse et l'encourager à vous parler sans crainte de son nouvel amour, elle, de son côté, n'eût jamais ressenti pour vous autant de tendresse que durant cet échange de confidences et de sympathie. »

    Bien que Buckingham ne dît presque rien, j'eus, pour la première fois, l'impression qu'une lumière se faisait en lui. « Et tel serait son état d'âme actuel, poursuivit Moreward, parce qu'elle ressentirait toute la noblesse de votre pardon inexprimé, qui éveillerait sa gratitude autant que son admiration. Or, rien n'augmente l'affection comme la reconnaissance jointe à l'admiration.

    Aussi ne crois-je pas avoir eu tort en vous disant, l'autre soir, que vous aviez laissé échapper la plus belle « chance » de votre vie d'homme marié. » Le Major, silencieux, tambourinait sur un meuble, l'air méditatif, et déjà à demi-consentant. « La plus belle chance qui soit offerte à celui qui aime véritablement c'est la possibilité de pardonner - de manifester ainsi sa noblesse de caractère, d'être grand devant celle qu'il aime...

    Et ce pardon, s'il ne se traduit pas en paroles, sera d'autant mieux ressenti et d'autant plus éloquent. Oui -l'amour, le vrai, absout toujours l'objet aimé, lui fait grâce avant même qu'il ait failli. On peut dire que deux amis véritables s'aimeront toujours plus quand l'un aura eu quelque chose à pardonner, quand l'autre aura eu à se faire pardonner. »

    Le Major gardait toujours le silence.

    « Ainsi, mon ami, pour être héroïque, pour être pratique aussi, n'est-ce pas évident que vous n'avez qu'une chose à faire ? Reprenez votre femme, montrez-lui que n'ayant pas, vous-même, agi jusqu'ici aussi noblement que vous l'auriez pu, elle aussi a quelque chose à vous pardonner. Elle vous jugera d'autant plus grand - et ce sera bien le cas - que vous lui confesserez cette erreur, et le résultat sera que vous nagerez tous les deux dans la félicité du pardon ! »

    Mais le Major semblait encore avoir des doutes...

    « Vous n'êtes pas entièrement convaincu? - Moreward souriait. Pourtant, si refuser de pardonner est, sans conteste, puéril, on ne peut douter que pardonner soit la plus habile des politiques, et, qui plus est, la plus pure des joies... »

    « Vous me demandez bien plus que le simple pardon, dit enfin le Major. La reprendre chez moi en sachant tout le temps qu'elle poursuit ses relations avec cet autre...

    Diable ! c'est un peu plus que je n'en puis avaler! »

    « Et pourquoi? » interrogea Moreward.

    « Pourquoi ! Eh bien, n'est-ce pas à moi, en définitive, qu'elle appartient ? » s'exclama le Major.

    Une fois de plus Moreward eut recours à son éloquence.

    « Le sens de la possession, le sentiment du tien et du mien, mon ami, voilà la source de presque tous les maux. C'est le cas pour vous - c'est le cas pour tant d'autres! Vous vous dites: « Elle est ma femme », négligeant de faire une distinction pleine de sagesse entre son corps et son âme, oubliant qu'elle n'est pas complètement, et indéniablement, vôtre. L'âme d'un individu lui appartient uniquement et en propre: désirer le contraire est aussi puéril que de vouloir posséder le soleil et la lune ; se lamenter qu'il en soit ainsi, c'est perdre son temps, c'est gaspiller les forces de son cœur et de son esprit. Et si, rejetant l'âme, vous n'aspirez à posséder que le corps de votre femme, vous ne serez pas plus avancé, car vous ne pouvez la tenir en prison, ni épier ses mouvements du matin au soir: elle est libre, aussi, de disposer de son corps, et si vous exigez d'elle plus qu'elle ne peut donner, vous n'aboutirez qu'à ceci: elle vous trompera et ajoutera des torts à ceux qu'elle a déjà. Quelle est, au fond, si vous y regardez de près, la vraie cause de votre chagrin? Quelques baisers ici et là valent-ils tant de détresse? Ces gestes physiques, qui ont une telle importance aux yeux du monde, ne sont-ils pas infiniment moins que l'amour de deux âmes, que l'affection qui se soucie à peine du corps?

    Le monde est aveugle lorsqu'il veut punir une faute par une autre, lorsqu'il fait d'un péché l'excuse d'un péché plus grave encore ! Allez-vous, parce que le monde vous encourage à manquer de noblesse, parce qu'il vous permet de rejeter votre épouse sous le prétexte d'une passion qui, tôt ou tard, s'éteindra d'elle-même (tout, ici-bas, étant transitoire), allez-vous succomber, et perdre ainsi un grand bien pour un petit ?

    En vérité, ce ne serait pas là le geste d'un héros - aussi prendrez-vous, je le sais, la voie la plus noble. »

    Ici, Moreward fit une pause.

    Le Major le regardait avec un mélange de curiosité et d'admiration.

    « Puis-je demander, dit-il, si vous avez mis en pratique ces étonnantes idées à l'égard de votre épouse? » « Oui... je l'ai fait », avoua modestement Moreward.

    « Voulez-vous dire qu'une aventure pareille vous est arrivée? » interrogea le Major, intéressé au plus haut point.

    « A peu près la même », convint Moreward.

    « Et vous ne nous en aviez jamais rien dit ! »

    « Je ne pense pas que mes propres affaires soient spécialement intéressantes pour les autres. »

    Mais, le Major et moi, nous déclarâmes que nous ne pouvions le dispenser de ce récit ; et c'est ainsi que nous veillâmes tard dans la nuit pour entendre l'unique épisode important de sa vie que j'aie jamais pu arracher à l'extrême réserve de Moreward.

    Mon seul regret est de ne pouvoir reproduire son style inimitable, empreint, comme toute sa personne, d'une singulière poésie, non plus que l'harmonie de son langage, qui fascinait les auditeurs. 

    Chapitre 11

    Grandeur d'âme

    « Je vais essayer, dit-il, de rassembler des souvenirs déjà si lointains que j'en ai oublié bien des détails, d'ailleurs de peu d'intérêt. »

    Se levant, il arpenta la chambre d'un air méditatif. « Nous avions alors une villa près de Florence ; c'était dix ans après mon mariage. Le nom de cet homme?...

    Soyons discret: nous le nommerons Henshaw, pour la circonstance. C'est, maintenant, un respectable mari et le père d'une nombreuse famille, et il ne conviendrait pas de le trahir. »

    Se rasseyant dans son grand fauteuil près du feu, Moreward reprit: « Henshaw était en visite chez nous depuis un mois car, ainsi que vous l'imaginez facilement, je n'invitais pas mes amis à faire le long voyage d'Angleterre pour l'espace de deux jours ; j'avais d'ailleurs une grande affection pour lui.

    De plus, il se montrait un agréable compagnon pour ma femme pendant les heures de la journée où j'eusse dû, sans cela, la laisser à sa solitude, car elle avait peu d'amis et ne voyait pas volontiers de simples connaissances. Une étroite amitié devait tout naturellement se former entre ma femme et lui: mais, chose singulière, je ne devinais pas, jusqu'à la fin de son séjour, combien intime elle était devenue.

    C'est le jour même du départ de Henshaw que je découvris leur secret si bien gardé: étant rentré plus tôt que je n'avais pu le prévoir, je les surpris dans un moment où ils étaient certains de pouvoir se faire librement leurs amoureux adieux.

    Je vis alors... ce dont ils eussent voulu, pour tout au monde, m'épargner la révélation.

    Ma femme, en m'apercevant, devint blanche de terreur et d'embarras ; quant à Henshaw, tout son être criait la culpabilité, le remords, le chagrin, la pitié...

    « Il ne me restait qu'à battre en retraite. Avec mon plus affable sourire, et sans la moindre note de sarcasme, je leur dis mon vif regret d'être entré si inopinément dans la chambre, puis, confus moi même, je me retirai hâtivement. Ils essayèrent de s'expliquer ; mais, sans écouter, je redescendis l'escalier, allais me choisir un cigare et sortis dans le jardin. Là, je m'assis, et commençai à me faire toutes sortes de reproches.

    « Pourquoi n'avais-je pas annoncé par quelque bruit ma rentrée inopportune ? L'idée d'avoir fondu sur eux comme un voleur dans la nuit m'était extrêmement pénible ; ma femme avait eu, en me voyant, un tel air d'effroi, que je m'en sentais le cœur serré. Mais, comment aurais-je pu me douter, avec cette porte entr'ouverte et le complet silence qui régnait dans la chambre ? Ah ! que ne m'avait-elle tout dit ! tout avoué ! Puis, immédiatement, je me représentai combien il lui eût été difficile de le faire. Sans doute, elle s'était figuré que je serais furieux, et c'est pour se défendre de ma jalousie qu'elle m'avait menti, si bien que toute l'affaire était plus ou moins ma faute. En vérité, lorsque Henshaw était devenu l'hôte permanent de ma maison, j'aurais dû prévoir que l'amour naîtrait entre eux ; après tout, quoi de plus naturel ? N'était-il pas, lui, digne d'être aimé ? Et quant à elle - à mon sens, elle appartenait au type le plus attirant qui soit. Je lui avais donné une fausse idée de ce que serait ma réaction dans certaines circonstances, et elle s'était crue obligée de tout me cacher.

    Je ne m'en sentais nullement blessé, car je savais trop bien qu'elle n'aurait eu aucun besoin de dissimuler si mon attitude eût été autre, et je me promettais la joie de le lui faire comprendre.

    Ce que nous craignons, et ce qui nous blesse si fort, dans le fait d'être trompé, c'est le choc que reçoit notre vanité, c'est la constatation extrêmement humiliante qu'après tout, nous sommes jaloux, bien que nous prétendions ne pas l'être, que celui qui nous trompe en est certain et a été en quelque sorte contraint, par cela même, de dissimuler. Ce n'était pas mon cas: quels que puissent être mes défauts, la jalousie n'est pas mon fait, et l'opinion de ceux qui pensaient que je l'étais ou pourrais l'être ne troublait en rien mon équilibre moral.

    On se froisse rarement d'être taxé de ceci ou de cela lorsqu'on sait que l'accusation tombe à faux, car la méprise est facile à prouver, - tout comme, du reste, il suffit qu'elle tombe juste pour exciter notre irritation. Ma femme, apparemment, m'avait pris pour un de ces époux de la vieille école, qui épient derrière chaque porte, le pistolet déjà braqué sur qui attente à leurs droits, un de ces véritables époux de cauchemar qui sont les perpétuels espions des secrets de leur femme !

    Si j'eusse réellement agi de la sorte, le fait qu'on m'en crût capable eût excité ma rancœur: mais je n'avais pas fait ces choses  viles, parce que j'aimais ma femme...

    Il me fallait libérer ces deux êtres de leur anxiété ; ils devaient, en ce moment, être des plus malheureux. Devais-je aller en personne leur dire que tout était bien ? Devais-je écrire un billet ? Malgré tout, je trouvais pénible de l'aborder, lui - et en quels termes ?...

    Me rappelant soudain qu'il nous quittait l'après-midi même, je songeai à disparaître momentanément pour ne pas le revoir avant son départ, puis à lui écrire après avoir arrangé les choses avec elle.

    En un sens, j'étais heureux que ce qui s'était passé m'eût ouvert les yeux, parce que j'étais, ainsi, en mesure de sympathiser avec elle et de leur rendre à tous deux les choses plus aisées.

    La continuelle appréhension de me voir découvrir leur secret devait avoir jeté une grande ombre sur leur bonheur, et je souhaitais les en délivrer.

    « Mais ici, mes réflexions s'arrêtèrent, car je vis ma femme venir à moi à travers la pelouse, le regard plein de détermination, d'appréhension et de détresse. J'étais assis sous une tonnelle, dans le fond du jardin. Je me levai en la voyant, allais à sa rencontre et l'amenais vers le banc d'un geste affectueux qu'elle était bien loin d'attendre de moi... Sa surprise fut si grande qu'elle éclata en sanglots ; je ne pus que la consoler de mon mieux tandis qu'elle s'efforçait d'articuler des mots que je ne saisissais pas. Enfin elle put se faire entendre... Elle me dit que, si fort qu'elle eût lutté pour ne pas devenir amoureuse de cet homme, elle avait été incapable de résister. Elle ne m'avait caché sa trahison que dans le désir de m'épargner de la souffrance.

    « Je n'ai réellement pas pu...» répétait-elle ; et je répondais: «Je ne pense pas que qui que ce soit pourrait ; aussi tous les reproches que tu te fais sont-ils vains. »

    Semblable aux autres femmes, elle eut alors un doute. « Je ne puis croire à pareille bonté ! dit-elle subitement. Tu veux m'infliger une sorte de torture, te venger d'autant plus cruellement après... »

    « T'ai-je jamais torturée? » lui demandai-je doucement.

    « Non. Mais, jusqu'ici, j'avais toujours été pour toi une femme loyale. »

    « C'est précisément pourquoi je ne puis te torturer -par gratitude », dis-je en souriant.

    « Oui, mais le mensonge ! reprit-elle, incrédule. Te rends-tu compte à quel point je t'ai menti ? »

    « C'est assez malheureux, car tu eusses pu t'épargner cette peine, dis-je sans nulle ironie ; mais je pense que tu étais trop effrayée pour agir autrement. »

    « Je ne puis y croire, répétait-elle d'un air pensif. Je me demande si tu peux réellement m'aimer. C'est la vérité, que tu n'éprouves réellement aucun ressentiment? »

    « Pas le moins du monde! » fut ma réponse très sincère.

    « Alors, ce n'est pas possible que tu m'aimes! » s'exclama-t-elle. « Si tu as l'idée qu'aimer, c'est se conduire de façon à rendre l'objet aimé cruellement malheureux - non, je ne t'aime pas ! Mais, si tu juges qu'aimer quelqu'un, c'est l'avoir continuellement dans la pensée et placer son bonheur avant toute autre chose - oui, je t'aime. La question est très simple: peux-tu voir souffrir un être que tu aimes alors qu'un peu de maîtrise de toi suffirait à éloigner cette souffrance ?

    A supposer, d'ailleurs, que je rompe avec toi, ou que je te maltraite, ou que je me venge de quelque autre manière enfantine et sans dignité, tu me haïrais, simplement. Et si je te conseillais de renoncer à Henshaw, je serais pareil au médecin qui exhorte le plus impécunieux de ses clients à entreprendre le tour du monde: le conseil serait théoriquement très sage - mais irréalisable... »

    « Enfin convaincue, ma femme se répandit en un déluge de paroles d'affection, d'admiration, d'amour... - effusions que je passerais sous silence, si, précisément, mon ami, je ne cherchais à vous prouver que l'effort fait par vous pour sympathiser avec le nouvel amour de votre femme, vous sera payé au centuple.

    « A ta place, me disait mon épouse, d'autres hommes eussent parlé de leur honneur offensé et de mille autres choses puériles. » Je lui dis que je ne regardais l'honneur que comme un nom poli donné à notre orgueil, et que je n'étais pas comme ces hommes qui, dans certaines contrées, sont assez fous pour préférer une balle dans l'estomac à la moindre blessure de leur vanité. Je lui dis encore que, le jour où elle avait dû jurer de m'aimer, de me respecter et de m'obéir, elle avait à peu près autant de chance de pouvoir tenir sa promesse que si elle eût fait serment de vivre jusqu'à l'âge de quatre-vingts ans...

    Combien de temps aurait encore  duré cet entretien paisible, je ne saurais le dire: nous étions si heureux tous les deux ! Des heures, sans doute, si les prosaïques soucis de la vie domestique n'y avaient mis un terme. Mais je vous avoue qu'en cette heure-là, je bénis dans mon cœur l'homme dont chacun eût dit qu'il m'avait fait une grave injure.

    En réalité, c'était à lui que je devais l'union d'âme bien plus grande qui venait de naître entre ma femme et moi : tous deux nous savions que, grâce à lui, notre amour avait subi la grande épreuve du feu et en triompherait - ce que, peut-être, aucun autre concours de circonstances n'eût pu réaliser. »

    Après un silence, Moreward reprit d'un ton légèrement changé : « Et quelle fut l'issue de tout cela, mon ami ? Comme vous le supposez, je laissais les amoureux se voir autant qu'ils le désiraient, sans restriction, sans jamais faire de questions, le traitant, lui, en ami et le priant d'être mon hôte aussi souvent qu'il lui plairait. Les choses durèrent ainsi pendant quelques mois. Puis, les circonstances appelèrent cet homme aux Indes, et mirent finalement un terme à l'amour de ma femme, en ce sens qu'il s'éteignit de lui-même sous l'influence de l'éloignement. Mais, auparavant, ce fut à moi qu'il incomba de la réconforter dans la détresse des adieux, et - bien que je fusse réellement triste pour elle - j'eus une grande joie à remplir ce devoir de consolateur, qui sembla rapprocher plus encore nos deux âmes.

    Il semble presque superflu d'en dire davantage.

    Avec une nature aussi noble et vraie que celle de ma femme, il ne pouvait se passer qu'une chose : l'intensité de sa passion pour cet homme ayant été surtout de l'attrait physique déguisé, lorsqu'il ne fut plus là pour exercer sur elle le magnétisme de sa présence, elle perdit graduellement son intérêt pour lui - et cet oubli fut réciproque, à en juger par la rareté des lettres qu'il envoyait. Cette affaire s'effaça sans laisser d'autres traces que l'enrichissement de notre amour.

    Comme je n'avais donné à ma femme aucune cause de ressentiment contre moi, aucune raison de se sentir prisonnière du lien conjugal, ma conduite, au lieu d'affaiblir son amour pour moi, l'avait porté à son plus haut degré.

    En ne lui opposant aucun obstacle, je lui avais épargné tout scandale, ce dont elle me fut profondément reconnaissante ; l'opinion publique - qui n'eût été que trop encline à me traiter de... mari trompé - fut par là-même désarmée.

    « Ainsi, mon ami, vous serez, je crois, prêt à admettre que la ligne de conduite que j'ai suivie fut un succès. Or je ne vois pas pourquoi il n'en serait pas de même pour vous. Rappelez-vous que l'époux qui agit envers sa femme selon ce qu'il a de plus vrai et de meilleur en lui gagnera toujours la partie, car les amants sont des êtres instables, se prenant et se quittant au gré de mouvantes circonstances, tandis que la véritable amitié conjugale, basée sur une longue association, sur la sympathie et la compréhension, dure éternellement. »

    Moreward se tut.

    Le Major, le regardant avec une admiration, un respect bien autres que ceux qu'il avait manifestés auparavant, lui demanda : «Vous estimez donc que chaque mari devrait permettre à sa femme d'avoir un amant, lorsqu'elle le désire ? »

    Moreward sourit. « A cela, je dois répondre: Oui et non - car c'est uniquement une question de circonstances et l'on ne saurait, en pareille matière, poser de règles générales. Accorder à sa femme des amants comme on lui accorderait des bijoux ou de belles toilettes, c'est une manière d'agir... C'en est une tout autre que de lui pardonner et d'excuser ses actes lorsqu'elle a déjà un amour dans le cœur. Si vous ordonnez à votre femme de renoncer à cet amour, ou bien elle vous quittera - comme cela a été le cas pour votre épouse - ou bien elle vous mentira pour éviter les effets de votre colère, étant donné que vous exigez de la nature humaine plus qu'elle ne peut accomplir. D'ailleurs rien n'exaspère autant le désir que les entraves qu'on oppose à sa satisfaction, de même que rien ne tue une affection comme l'impression qu'on a d'en être prisonnier. Contraindre sa femme, c'est la jeter d'autant plus vite dans les bras d'un autre homme, en raison de la rancune qu'on fait naître en elle ; en voulant obtenir son amour par la force, on ne réussit qu'à la perdre tout à fait. »

    « Eh bien, s'exclama le Major, tout ce que je puis dire, c'est que vous êtes un extraordinaire individu et que -ce qui est mieux - vous m'avez fait un bien immense ! » Ici se termina l'entretien.

    L'affaire du Major tourna bien, puisqu'au bout de quelques semaines, nous apprîmes que Mrs. Buckingham et son mari vivaient de nouveau ensemble et - autant qu'on en pouvait juger - dans une parfaite harmonie. 

    Quant à Moreward, il me dit, après le départ du Major: « Étrange chose, que de devoir user de tant de mots pour convaincre quelqu'un de faits qui éclatent aux yeux ! Me voici, en quelque sorte, obligé de m'entourer d'une auréole de noblesse pour mieux persuader ce brave homme « d'aller et de suivre mon exemple ».

    « La grandeur d'âme est chose relative, répondis-je, et ce qui est chose aisée à votre nature, déjà très évoluée, représente pour le Major un geste d'héroïque magnanimité. »

    En disant bonsoir à Moreward, je me demandais : est-ce la modestie, qui donne, par moments, à cet être rempli de sagesse, un tour d'esprit si étonnamment ingénu ?...

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     Chapitre 12

    Étrange changement d'allure de Justin Moreward Haig

     

    L'entière absence de convention qui caractérisait les méthodes d'éducation spirituelle de Moreward Haig me frappa bientôt tout particulièrement.

    J'eus, en effet, l'occasion de découvrir à quel point cet homme remarquable pouvait renier sa propre personnalité, si raffinée, pour agir sur certains élèves d'un tempérament spécial.

    Je rencontrai chez lui un « disciple » que je ne puis mieux décrire que par l'épithète anglaise, expressive mais familière, de Sissy (être efféminé), et qui, s'il ne manquait pas de vertus très appréciables, comme je l'appris ensuite, paraissait, à première vue, une simple poule mouillée.

    On eût dit une de ces âmes ultra-féminines, qui ont eu la malchance de s'incarner dans un corps masculin, un de ces êtres sur qui pèse l'obligation de porter la culotte, qui leur fait horreur, au lieu de la jupe, qu'ils eussent tant préférée ! Quelque chose, en lui, suggérait aussi l'idée qu'il était, sinon « trop pur pour la vie », du moins trop pur pour vivre longtemps.

    Sa féminité se trahissait dans ses habitudes, dans le fait, par exemple, qu'il recousait, outre ses propres boutons, ceux du jeune homme dont il partageait l'appartement. En résumé, si, comme le disait Moreward, il possédait des « qualités de cœur », c'étaient celles d'une vieille fille extrêmement aimable et préoccupée de ceux qu'elle aime, s'agitant autour d'eux avec ces mille petites attentions qu'on peut désigner sous le terme de « maternelles », car, en effet, les vieilles filles ont souvent plus d'instinct maternel - au sens strict du mot, - que les mères.

    Toni Bland (prénom et nom de famille lui convenaient particulièrement) avait, d'ailleurs, assez le physique d'une vieille fille : il était petit de corps et de mince ossature, un peu desséché déjà pour ses trente-cinq ans: élégance, précision et délicatesse du langage complétaient ces caractéristiques.

    Quant à son admiration pour Moreward, j'avoue que je me l'explique mal, car ce dernier semblait, en sa compagnie, devenu un autre être. Il suffisait que Bland apparût pour que tout ce qui, en Moreward, était mesure, spiritualité et douceur, fît place à un tempérament complètement opposé... Son langage devenait dur et criard, son rire bruyant et déplaisant, voire vulgaire, sa conversation semée de gros mots et d'expressions hardies, et ses manières habituellement si courtoises, et même si gentiment cérémonieuses, à peu près celles d'un rustre nonchalant.

    Je m'aperçus bien vite que la pauvre petite personne de Toni Bland, dont la sensibilité était ainsi piétinée, passait le plus clair de son temps à frémir intérieurement ; je m'aperçus aussi qu'avec le temps, celui-ci faisait de grands efforts pour se dominer : il commençait à avoir honte de son émotivité et la cachait. Pour moi, la première fois que je constatais l'étrange changement de Moreward Haig, je fus naturellement ébahi ; mais ma surprise se mua en une admiration redoublée, une fois que je connus le sens de cette tactique. Au cours d'une des nombreuses visites que je faisais au hasard à Moreward, je rencontrai donc Toni Bland.

    Assis sagement sur le rebord de sa chaise, il avait les mains jointes, tandis que Moreward se tenait adossé à la cheminée, les deux pouces passés dans les entournures de son gilet et - ce qui était tout à fait contraire à ses habitudes - fumait un énorme cigare dont la lourde fumée emplissait désagréablement la chambre. Sans daigner remuer, Moreward me fit, à mon entrée, un signe de tête et nous présenta l'un à l'autre sur un ton bruyant et hâbleur. « Hallo ! fis-je, depuis quand fumez-vous le cigare? » Il rit très haut.

    « Fumer, mon cher, est un des vices qui me sont nécessaires en tant que médecine spirituelle agissant sur la santé de mes élèves hypersensitifs ». A cette réponse énigmatique, il ajouta: « Bland a ses idées sur le sujet, n'est-il pas vrai, Antonia ? »

    Mais Bland, comme on pouvait s'y attendre, se borna à sourire d'un air embarrassé, en se frottant doucement les mains.

    « N'allez-vous pas nous les exposer ?» insista Moreward.

    « Oh - hum ! je pense seulement que c'est regrettable... hum! que c'est plutôt une habitude déplaisante... hum ! particulièrement si on fait des excès... Voyez-vous, poursuivit-il avec hésitation et se tournant Vers moi, Justin fume tout le long du jour : cela ne peut réellement pas être bon... » 

    La chose était si nouvelle pour moi que je dus laisser voir ma stupéfaction ; mais Moreward ne m'offrit aucune explication.

    « Allons ! fit-il, vous n'osez pas dire ce que vous pensez : c'est que tous ceux qui fument comme des cheminées sont des brutes, spécialement les fumeurs de cigare. Ayez le courage de votre opinion ! Broadbent - un cigare? » Je regardai Bland - hésitant à accepter en pareille conjoncture ; mais Moreward me lança un regard qui disait clairement son désir: je m'exécutai donc.

    « Bien. Voyons, Antonia, de quoi parlions-nous ? »

    « Des formes diverses du Yoga », dit Bland d'une voix flûtée, qui contrastait avec celle de Moreward. « Yog ! cria celui-ci avec bonne humeur. Ne vous ai-je pas dit que le a est muet, que ce mot se prononce comme Yogue? »          « Mais cela sonne bien plus joliment avec un a » susurra Toni. « Au diable le joli ! Cholmondeley sonne « plus joliment » (comme vous dites) que Chumley, et pourtant c'est ce dernier qui est correct.

    D'ailleurs, faites ce que vous voulez ; l'Inde du Nord prononce Yog, celle du Sud Yoga: choisissez ce dernier et (pour des raisons que j'ignore) les gens vous taxeront d'ignorant ! » « N'ai-je pas vu ce mot sur les pancartes promenées par des hommes-sandwiches du haut en bas de Regent-Street ? » dis-je.

    « Fort probablement, dit Moreward.

    Les chiromanciens, les « voyants » et autres gens de cet acabit, aiment à profaner la plus sublime des sciences en l'associant à leur métier de bas-étage. » * « Et que penser de ceux qui, en Inde, se barbouillent de cendre et font toutes sortes de tours étranges ? » demanda Toni.

    « Un yoghi vraiment grand ne fait jamais parade de ses pouvoirs, dit Moreward. Au contraire: plus l'homme est grand, plus il s'efforce de paraître insignifiant aux yeux des non initiés. Ce sont les gens de médiocre sainteté -par exemple, certains de vos pasteurs - qui prennent des voix onctueuses et s'habillent de noir connue pour dire: « Sachez bien que je suis un saint homme ! » et ceci en dépit des injonctions de la Bible, qui blâme tout signe extérieur de piété.

    En fait, il y a deux formes d'hypocrisie: celle de l'homme grand qui se fait passer pour ordinaire -et celle de l'homme ordinaire qui se fait passer pour grand. Tous les deux nous trompent, si vous voulez, mais le premier par modestie et élévation morale, le second par simple vanité. Les yoghi dont vous me parlez, ma chère Antonia, ne représentent pas plus le véritable Yoga qu'un vicaire timoré et confit en piété ne représente dignement la spiritualité chrétienne. »

    « Cela n'empêche pas que j'ai connu de délicieux vicaires », murmura Toni d'une voix à peine perceptible.

    Moreward éclata de rire et lui demanda combien de paires de pantoufles il leur avait brodées. Quant à moi, si Toni me semblait un être flasque, voué aux remarques pour vieille fille, je sentais aussi de plus en plus que Moreward n'épargnait rien pour le rendre ridicule, procédé tout à fait contraire à son attitude ordinaire. Sans la deviner encore, je pressentais une raison à tout cela ; et c'est là mon excuse pour parler de Toni Bland qui, sans être le héros d'un « épisode » d'intérêt spécial, représentait pourtant un cas nécessitant un traitement d'une nature très particulière.

    A la dernière attaque de Moreward, il n'avait répondu que par un petit rire embarrassé et peu compromettant. Personnellement, je le jugeais capable - sans doute étais-je injuste - de passer, en effet, une bonne partie de son temps à broder des pantoufles d'ecclésiastiques. Et puis, ce petit homme minaudier m'agaçait, et je me sentais l'envie de lui administrer une grande claque dans le dos, pour faire réagir le peu de masculinité qu'il y avait en lui.

     

    Mais une remarque de Moreward me fit, à ma honte, sentir que ces inclinations et réflexions étaient dépourvues de charité. « Dénigrez quelqu'un, disait-il, et vous verrez immédiatement Antonia se lever pour prendre sa défense! Les apparences, mon cher Broadbent, sont trompeuses, si banal que ce soit de le dire. Et vous,  comprenez-vous cela? -

    il se tournait vers Bland. - Non, et c'est là ce qui est malheureux! » Il se mit à arpenter la chambre, son pouce gauche toujours passé sous son gilet.

    « Oui, c'est bien là l'erreur, cette stupide notion que spiritualité puisse jamais être synonyme de conformisme et pieuse douceâtrerie. Vous rendez-vous compte que le but de l'Humanité, c'est d'atteindre à la Conscience divine, à la Conscience cosmique?

    Et peut-on croire un instant que l'état d'esprit d'un pâle ministre ou d'une craintive vieille fille ressemble en quoi que ce soit au sentiment de la Divinité ? Du cran, -mon cher ami, voilà ce qu'il faut pour arriver à la Conscience de Dieu! »

    Toni battit des paupières et sourit poliment en joignant de nouveau les mains.

    « Je ne vois pas très bien, remarqua-t-il à demi-voix, comment l'union avec Dieu pourrait être favorisée par ce tour de force des yoghi consistant à renverser le mouvement péristaltique intestinal ? » « Vous ne voyez pas? Eh bien, je vais vous dire ceci », fit Moreward avec une sorte d'agressive bonne humeur: « Quelle que soit la performance remarquable que puisse accomplir un être, elle est toujours un pas de fait dans la direction de Dieu et vers la liberté.

    Le manque de puissance est la plus forte de toutes les entraves. Parler de ressembler à Dieu, qui a projeté hors de lui-même ce géant Univers, et, en même temps, être incapable de faire mieux que de se tourner les pouces: sur mon âme, en voilà une conception !

    Écoutez encore ceci: il est extrêmement difficile d'arriver à la Conscience divine avec un corps qui ne vaut rien.

    Une bonne santé est non seulement indispensable, pour atteindre ce suprême degré de la Félicité, mais, encore, elle est un attribut de Dieu. Imaginez Dieu malade ! Dieu misérable ! Dieu en larmes ! » Il rit. « Quant à ces yoghi que vous désapprouvez, parce que vous ne savez rien d'eux, je vous affirme que leur science est, en elle-même, la chose la plus élevée qui soit au monde. Il n'est, pour ainsi dire, pas un seul « miracle » que les vrais yoghi ne puissent apprendre à accomplir ; mais, c'est précisément parce que ceuxci se refusent à venir à Londres pour s'exhiber à St. James Hall que le public ne veut pas y croire, alors même qu'il est prêt à admettre que le grand Yoghi de Nazareth a accompli des miracles, il y a deux mille ans. Oh! je vous accorde que certains yoghi de bas-étage exécutent en Inde, devant un public ébahi, des tours à faire se dresser les cheveux sur la tête.

    Toutefois, celui qui abuse de ses pouvoirs pour satisfaire sa vanité ou pour amasser de l'argent ne réalisera jamais aucun progrès: sa cupidité et sa vanité lui ferment bientôt le chemin qui mène à une conscience plus évoluée. »

    S'asseyant dans son fauteuil, Moreward posa les pieds sur le rebord de la cheminée, puis, ayant jeté son cigare, il en alluma un autre. « Je vous dirai le précieux atout que possède le yoghi, poursuivit-il ; ce n'est pas par l'hypnotisme ou par le moyen des drogues qu'il arrive à certains états de conscience, mais par des méthodes physiologiques. Que faut-il en conclure? Eh bien - que personne ne peut soutenir, à moins d'être ignorant en ces matières, que l'imagination joue un rôle quelconque dans l'affaire.

    Pour vous hypnotiser vous-même, vous devez demeurer sur telle idée, ou sur telle image, jusqu'à ce que vous voyiez réellement la chose à laquelle vous pensez.

    Le Yog procède différemment. Il y a, dans notre corps, certaines puissances latentes: si l'on sait les réveiller, par des processus physiologiques et connus des yoghi, on opère une totale transformation de la conscience: on commence à voir, à entendre, à percevoir autour de soi des phénomènes dont on était, jusque-là, totalement ignorant. » « N'importe qui peut-il pratiquer le Yog ? » demandai-je.

    « S'il parvient à trouver un maître en cette science, ce qui, selon moi, est loin d'être facile », répondit Moreward. «Je suppose qu'il faut, pour cela, se rendre en Inde ?» dis-je. Il rit. « Le Yog existe en tout pays, mais encore faut-il savoir le découvrir... Il se pratique en Angleterre depuis plus de trois cents ans, et il y a, actuellement, à Londres, un certain nombre d'Adeptes. » « Tout cela est très intéressant, observa Toni en se levant. Cependant, je crois qu'il faut que je me retire. »

    « Vous partez ? dit Moreward sans se déranger. Eh bien, Antonia, avertissez-moi quand vous voudrez revenir. » Il tendit la main à Toni de son siège, et continua à mâchonner son cigare.

    Bland prit congé de moi, en ajoutant qu'il espérait me revoir sous peu ; puis il s'éloigna, toujours de son air précieux.

    « Que signifie tout cela? » dis-je, quand je fus certain que Bland avait refermé la porte d'entrée. Moreward, retirant ses pieds du bord de la cheminée, éclata d'un de ces rires joyeux qui lui étaient familiers.

    « Avant tout, dit-il, en allant ouvrir la fenêtre, chassons cette fumée qui vous a, je le crains, passablement incommodé. Bien que j'eusse cru que vous l'auriez deviné, je vais vous dire exactement ce dont il s'agit ».

    Il était de nouveau entièrement lui-même, avait repris sa voix et ses manières habituelles, et même ce petit quelque chose de légèrement cérémonieux qui était un de ses traits les plus attachants.

    « Vous ne saviez pas que j'avais des dons d'acteur? » demanda-t-il. Je reconnus que je ne m'en étais pas douté.

    « A l'égard de certaines gens, dit-il, il est essentiel d'adopter une attitude qui, d'une part, soit une réaction contre leurs fausses conceptions, d'autre part les fortifie contre eux-mêmes. Toni, vous l'avez remarqué, est trop efféminé: il manque de force, et c'est déjà une grande pierre d'achoppement sur la voie de son développement. Mais plus grave encore est sa tendance à croire que la condition première de la spiritualité, c'est cette délicatesse affectée, cette quintessence de perfection... En d'autres termes, la moindre des choses le choque ! Eh bien, le seul moyen de réagir là-contre, c'est de l'endurcir, d'en faire un homme, en froissant continuellement sa sensitivité, jusqu'à ce qu'elle en meure. Vous connaissez les cures systématiques d'endurcissement physique ?

    Certaines personnes ont besoin, dans le domaine spirituel, de cette cure d'endurcissement. Aucune autre n'est efficace. »

    Tout cela me paraissait fort sage ; mais, je me demandais si, dans le cas particulier, aucun bien ressortirait du traitement.

    Toni Bland, d'après ce que j'en avais vu, me semblait un cas désespéré. Je ne pus m'empêcher de le dire à Moreward. « Ce qui m'intrigue parfois, en vous, dis-je, c'est la somme de peine que vous prenez pour... je ne voudrais pas être intolérant - mais... pour des gens complètement stupides. »

    « Vous faites injustice à Toni. Il est doublement timide en présence d'étrangers, mais il est loin d'être foncièrement stupide. Lorsqu'il n'est pas gêné par un tiers, il a une foule de choses à dire. Laissez-le faire plus ample connaissance avec vous et il ne vous affligera plus de ses propos banals. Je vous accorde que c'est une âme très féminine et qui, pour cette raison, a beaucoup à lutter contre elle-même.

    Mais si vous aviez vécu, vous-même, en tant que femme vos quatre ou cinq incarnations antérieures, comme c'est le cas de Toni, vous lui ressembleriez énormément. Il a en partage une destinée difficile. »

    « Mais, insistai-je, il y a d'autres personnes aussi insignifiantes que lui, et plus décourageantes encore, pour lesquelles vous vous êtes donné, me semble-t-il, une peine disproportionnée... »

    « Vous n'êtes pas encore habitué à penser en mesures d'éternité, expliqua-t-il en souriant. J'ai connu, dans mes vies passées, chacune de ces personnes, et chacune m'a rendu quelque service.

    Or, comme l'ingratitude ne doit, ce me semble, pas être l'un de nos défauts, je ne puis que souhaiter leur rendre ce bien. Pensez-vous que Toni, par exemple, tolérerait mes manières de rustre s'il n'y avait déjà eu, ailleurs, entre nous, un lien qui nous maintient proches ? Semaine après semaine, Toni vient ici pour ce qu'il me fait l'honneur d'appeler ma sagesse et ma conscience des choses occultes ; il s'arrange de mes termes d'argot, de mes gros mots même, parce que, en dépit d'eux... eh bien! il croit en moi, et il est subconsciemment averti que nous nous sommes déjà connus ailleurs.

    Vous voyez, mon ami, que la mémoire, en s'élargissant, transforme la perspective des choses et que celles qui semblaient sans signification deviennent riches de portée. Toni a de fort belles qualités d'âme, évidentes pour qui le connaît. Ne les eût-il pas, d'ailleurs, que je m'efforcerais de travailler à son bonheur spirituel, en reconnaissance des services qu'il m'a rendus autrefois. Et s'il n'était pas encore assez mûr, dans cette vie-ci, pour faire ses premiers pas sur le Sentier, j'essaierais à nouveau dans sa prochaine incarnation ; car, vie après vie, un lien d'affection nous unira toujours. » ---- 

    Je ne revis plus Toni Bland. Néanmoins, cette rencontre fortuite avec lui me fit, par des voies indirectes, saisir de mieux en mieux la grandeur d'une Vie qui s'étend sur des milliers d'années, et non pas seulement sur le court espace de trois ou quatre fois vingt ans. Il n'y avait, dans la remarquable philosophie de Moreward, rien qui fût vide de sens: aucune émotion, même la plus subtile, aucune action, si minime fût-elle, n'étaient sans importance. Par son exemple et son enseignement, la vie devenait quelque chose d'infiniment grand.

    Toute sensation de la vanité des choses était à jamais bannie - et même le gros mots dont cette philosophie pouvait, à l'occasion, dicter l'emploi revêtait, sous son allure déplaisante, quelque sublimité.

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    Dessin attribué à Giacomo Manzù

    Chapitre 13

    Une lettre de ma sœur Pembley Manor, Warwickshire.

     Mardi.

    Mon cher Charlie,

    Tu ne mérites certes pas de recevoir une lettre de moi, car jamais l'idée ne te viendrait de m'adresser même quelques lignes pour demander de nos nouvelles, ce qui est bien négligent de ta part...

    Mais, je sais que tu es incorrigible sur le chapitre de la correspondance. J'espère au moins que tu es conscient que je te rends le bien pour le mal en n'imitant pas ton superbe silence...

    Quoi qu'il en soit, si tu ne réponds pas à cette lettre, tu cesseras, je t'en préviens, pour longtemps, d'être dans mes petits papiers !

    Le fait est, vieux lâcheur, que j'ai rencontré l'homme extraordinaire dont tu es si plein depuis six mois (du moins, c'était le cas quand je t'ai vu, et on me dit que cela dure toujours). Eh bien, il est venu ici pour un week-end, et je ne m'étonne plus du culte que tu as pour lui !...

    D'abord, il ne ressemble à personne - personne que je connaisse, du moins - et tu sais combien c'est rafraîchissant de rencontrer un être entièrement différent de l'ordinaire et ennuyeux troupeau des gens qui fréquentent les salons.

    Bien entendu, je meurs d'envie de te poser mille questions à son sujet ; mais je suppose que tu n'y répondras pas avant que je t'aie donné des nouvelles détaillées d'ici: pour une fois, je suppose, tu seras réellement intéressé par une de mes lettres ! (Espérons que je le serai pour une fois, pensai-je.)

    Eh bien, je suis arrivée ici le vendredi et lui le jour suivant. Avant qu'il ne vienne, je pensais que ce week-end allait être mortellement ennuyeux. Il y avait là Julien Smith (que je n'ai jamais pu sentir) et cette assommante Miss Clifford (Dieu qu'elle est laide et impatientante!) et puis le vieux Mr. Sandlands (il est sûrement timbré) et finalement est arrivée Lady Eddisfield...

    C'est elle qui l'a amené ! Mais comment est-il possible qu'elle soit son amie, ou, plutôt, qu'il soit son ami? Je n'y comprends rien! Du moins, je n'y comprenais rien ; car après l'avoir observé deux jours, j'ai découvert qu'il devient tout de suite l'ami de tout le monde: je n'ai jamais rien vu de pareil. Que ce doit être étrange d'aimer tous ceux qu'on rencontre ! (Pourquoi n'essaies-tu pas ? pensai-je.)

    Ils sont arrivés juste pour le thé, et quel couple ils formaient, tous les deux ! 

    Elle, excitée, trépidante, tourbillonnante et piaillant à tue-tête - lui, calme comme un étang. On eût dit un visiteur du Zoo regardant une bande de singes se démener dans leur cage: il semblait si distant des autres...

    Je ne veux pas dire par l'orgueil ou par le sens de sa supériorité, mais par cette attitude de simple observateur. Et quand il s'est mis à parler, quelle voix apaisante ! Chaque chose qu'il dit est si extraordinaire, et jamais un mot d'argot ! C'était très drôle de voir qu'au bout d'un petit moment, chacun s'observait sur ce point, comme si on avait honte de se négliger en sa présence.

    Et chaque fois qu'on commençait à dénigrer quelqu'un, il se taisait, nous regardant comme on regarde une bande d'enfants qui débitent force bêtises et cherchent à se faire remarquer - avec un air pas positivement ennuyé, plutôt indulgent. C'était trop divertissant de les voir au bout d'un instant, et l'un après l'autre, renoncer aussi à dire du mal des gens.

    - Après le thé, on s'est promené dans le parc, et de là dans les bois ; je l'ai alors informé que j'étais ta sœur, et il m'a dit, sur toi, une foule de choses gentilles que tu ne mérites aucunement. (Merci, pensai-je ! A dire vrai, il me connaît mieux que toi.) Puis, il a paru s'intéresser beaucoup à mon humble personne: j'étais extrêmement flattée. Il me regardait d'une façon si affectueuse, que je crus d'abord à un semblant de flirt ; puis, j'ai constaté qu'il regardait chacun de la même manière - et alors... Mais qu'importe ce que j'ai pensé ! Je me demandais s'il était un artiste, ou un poète, car, tout en flânant ici et là, il me fit voir une quantité de beaux points de vue et de choses que je n'avais jamais remarqués jusqu'ici.

    Quand j'interrogeai sur ce point Lady Eddisfield, elle me répondit qu'il n'était rien, ou peut-être simplement un gentleman de condition aisée - je ne me rappelle pas bien ses paroles.

    A dîner, il nous raconta les choses les plus extraordinaires ; c'est vraiment le plus brillant causeur que j'aie entendu, et jamais il ne met en avant sa propre personne. Je crois que le butler lui-même était si intéressé qu'il en  négligea la bonne marche du service, car je vis une ou deux fois Lady Drummond froncer les sourcils sévèrement en le regardant.

    Ton ami m'a conduite à table ; j'étais donc à côté de lui, et je remarquai qu'il refusait tous les plats de viande et ne prenait que du légume et du dessert. Je lui en demandai la raison: il se contenta de sourire, en disant que c'était dommage de tuer des animaux sans défense. N'est-ce pas extraordinaire? Tu ne m'avais pas dit qu'il était végétarien.

    Après le dîner, nous nous sommes assis dans le grand hall, autour d'un feu de cheminée (il faisait un peu frisquet). Il nous conta alors toutes sortes d'histoires merveilleuses concernant les Esprits, les Mahatmas et les Fakirs qu'il avait vus dans ses voyages en Inde: c'était réellement très captivant !

    Je ne croyais pas, jusqu'ici, à ces sortes de choses ; lui, lorsqu'il en parle, c'est tout différent: on sent que ce doit être vrai. Nous l'écoutâmes bien avant dans la nuit, et, lorsque nous allâmes enfin nous coucher, Henry l'appela le « charmant toqué ! » Je pensais à ce que tu avais dit de lui: le « sage imbécile » ou « l'enfant », ou « l'innocent », n'était-ce pas cela?

    Cela n'empêche pas qu'Henry, bien qu'il le niât, était fortement impressionné... Le dimanche, il se passa une chose singulière. Il descendit pour le petit déjeuner, mais disparut ensuite. De mon côté, je me promenais dans une partie du parc où, généralement, peu de gens passent, lorsque je tombai inopinément sur lui. Il était assis à terre, les jambes croisées, le dos non appuyé, les yeux fermés et aussi immobile que s'il dormait. N'ayant nulle envie de lui adresser la parole, je m'esquivai. Mais la curiosité me ramena à cette place une demi-heure plus tard - et figure-toi qu'il était toujours exactement dans la même posture!

    Je suis certaine qu'il n'avait pas bougé d'un fil. Explique-moi donc ce qu'il faisait là ? Je trouve tout cela si étrange, que je mourais d'envie de le questionner plus tard ; mais je n'ai pu m'y résoudre. (Et s'il te l'expliquait, tu n'y comprendrais rien, pensai-je.)

    -Il me semble que cette lettre s'allonge beaucoup, et je vais m'arrêter ; mais j'ai besoin de savoir tout ce qui le concerne: ce qu'il est, ce qu'il fait, quel âge il peut avoir ? Dis-moi s'il est riche ? Quelle est sa parenté ?

    Je ne puis rien arracher à Lady E. Elle prend un absurde air de mystère quand je l'interroge ; cependant je ne crois pas qu'elle sache quoi que ce soit ; elle voudrait simplement dissimuler son ignorance. Au revoir donc, une bonne fois ; et rappelle-toi que si tu ne me réponds pas, je ne te le pardonnerai jamais.

    Tendresses de ta sœur affectionnée!

    Ethel.

    PS. - Pourquoi ne viens-tu pas passer un week-end avec nous? Il y a des siècles qu'on ne t'a vu. 

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    Chapitre 14

    Nouvelle rencontre de Gordon et de Gladys

    La lettre que l'on vient de lire m'était adressée par ma sœur mariée. J'en avais une autre, plus jeune, et d'un tempérament si différent qu'en présence de ce fait la théorie de l'hérédité m'avait toujours semblé douteuse.

    Discutant avec moi ce problème, Moreward m'expliqua que l'hérédité est un effet, et non une cause. Un buveur, par exemple, lors de sa prochaine réincarnation, se fixera dans un milieu où il sera à même de satisfaire son désir.

    D'après la loi de l'hérédité, il boit parce que son père a bu, parce qu'il a hérité de lui un organisme troublé par cette tendance à la boisson. C'est exact - mais, on ne nous dit pas la raison qui veut qu'il hérite de ce penchant-là ?

    Or, cette raison gît très loin en arrière... Un autre exemple: celui qui a été musicien pendant toute une vie aura besoin, au moment de sa réincarnation, d'un corps et d'un cerveau doués d'une particulière sensibilité: il devra se réincarner dans une famille où la mère, par exemple (voire la grand'mère, en sautant une génération) sera musicienne, en sorte qu'il puisse recevoir d'elle cette structure physique particulière. La plupart des gens diront sans hésiter: « Cet homme tient son don musical de sa mère », constatation qui ne sera qu'à moitié juste. Son sens musical, il l'avait bien avant de rencontrer sa mère, si l'on peut dire ; celle-ci n'est que l'instrument chargé de l'aider, dans sa présente incarnation, à manifester, sur le plan physique, son talent musical propre.

    Bien entendu, la théorie de l'hérédité suffit à satisfaire les gens qui n'ont pas encore acquis la faculté de se remémorer leurs existences passées. Mais, à ceux qui peuvent se rappeler, l'hérédité semble nécessairement un effet et non une cause - et, de là, dérive une attitude d'esprit très différente.

    Pour Moreward, la réincarnation était un fait, ainsi qu'il ressortait de notre premier entretien de Kensington Gardens, où il m'avait tant surpris par ses allusions à nos vies passées. Comme je m'étonnais qu'on connût si peu de chose sur ce sujet dans les pays occidentaux:

    «Voyez-vous, dit Moreward, les gens nient la réincarnation parce qu'ils ont perdu toute mémoire de leurs vies antérieures ; cette absence de souvenir est, pour eux, une preuve suffisante que rien ne fut avant.

    Pourtant, si je vous demandais ce que vous faisiez un certain jour, il y a quinze ans, le souvenir vous en ferait totalement défaut, si convaincu que vous soyez d'avoir été alors en vie ! Remarquez toutefois ceci: à chaque réincarnation, l'ego acquiert un nouveau corps, par conséquent aussi un cerveau neuf. Or, seul le cerveau est capable de se rappeler ; mais il ne peut avoir enregistré des choses qui se sont passées avant sa formation, puisqu'il n'arrive même pas à retenir nombre de choses qui ont eu lieu après sa formation.

    Je parlais, tout à l'heure, d'un souvenir remontant à quinze ans ; prenons plus près: A quoi pensiez-vous il y a dix minutes? Vous êtes obligé de me dire que vous l'avez totalement oublié... Sachez, maintenant, qu'il y a en nous certains organes encore rudimentaires, dont, par un processus connu des occultistes, on peut arriver à déclencher le fonctionnement, et par lesquels nous acquérons une mémoire indépendante du cerveau physique - et voilà pourquoi l'initié se souvient de ses existences passées. »

    J'ai exposé, ici, les idées de Moreward, en partie à cause de l'intérêt qu'elles offrent, en partie à cause du lien qu'elles ont avec l'épisode qui va suivre.

    - Nous avions été tous deux conviés pour quelques jours dans une famille où nous devions retrouver Gladys, ma sœur cadette, ainsi qu'un jeune homme pour lequel elle avait, tout au moins, un faible, et qui, de son côté, était sans aucun doute amoureux d'elle.

    Or, malgré la concordance de leurs sentiments, il régnait visiblement entre eux un désaccord, car Gordon Meller -c'était son nom - avait peine à dissimuler un profond abattement, que l'œil prompt et la fine intuition de mon ami discernèrent immédiatement. Moreward ne tarda pas, d'ailleurs, à être dans les confidences de ma sœur.

    Celle-ci s'était prise d'emblée pour lui d'une vive, mais sérieuse amitié, qui la poussa à parler franchement en sa présence dès qu'il l'en eût priée. Personnellement, je savais où se trouvait la difficulté. De son côté, à elle, il y avait un grand orgueil et de la vanité. Tous mes essais pour la raisonner s'étaient heurtés à la remarque que j'étais un homme - donc incapable de saisir le point de vue d'une femme, à quoi il fallait ajouter, déclarait elle, que j'avais « des idées très spéciales ».

    Comme nul n'est prophète en sa famille, j'avais renoncé à toute immixtion dans ses affaires de cœur, et cette situation déplorable durait depuis  plusieurs mois.

    Dès le premier jour de notre arrivée, Moreward parla sur des sujets spirituels, et sur d'autres matières, de façon à éveiller l'admiration de Gladys, - ce que voyant, je saisis la première occasion pour informer mon ami que ma sœur était dans des difficultés qui, à mon sens, nécessitaient son intervention.

    Comme toujours, il se montra des plus disposés à mettre en œuvre son agissante sympathie, et je fis en sorte que nous pussions nous trouver seuls tous les trois sans risque d'être interrompus - ce que les circonstances me permirent aisément d'arranger. Au cours d'une promenade à travers champs, j'abordai moi-même le sujet.

    « Ton ami Gordon ne me semble pas précisément prospérer beaucoup au contact de ton amitié, ma chère Gladys! » Elle rougit, et tenta d'éluder mon interpellation - mais sans succès. « Vous et lui, Miss Broadbent, enchaîna aimablement Moreward, m'intéressez grandement. J'ai des raisons de croire que vous êtes de vieux, très vieux amis... Votre amitié date de plusieurs vies en arrière, si je ne me trompe. »

    Ma sœur eut l'air contente, et subitement très intéressée. Elle n'avait pas d'aversion pour les choses occultes, et inclinait plutôt à y croire. « Comme c'est amusant que vous soyez capable de me dire cela! dit-elle avec enthousiasme. Comment au monde le devinez-vous? »

    « C'est assez simple, dit-il en souriant. L'observation ordinaire permet, généralement, de voir si deux personnes sont en harmonie. On peut discerner aussi à la ressemblance physique la parenté d'une mère et de son fils. Pour reconnaître les parentés d'un genre plus subtil, il faut apprendre à distinguer le corps mental des gens et cette vision-là nous renseigne sur les affinités d'âme qui existent entre certains êtres ».

    « Et vous pensez que Gordon et moi, nous avons des affinités d'âme? » demanda-t-elle. « Très certainement. » « Ah! ah! m'écriai-je, triomphant. Maintenant que tu sais cela, tu vas peut-être le traiter un peu plus décemment! » « Je ne l'ai jamais maltraité! » déclara-t-elle vivement. « J'appelle ta façon d'être maltraiter, fis-je. Tu sais ce que je pense sur ce sujet, et je parie que si je racontais les choses à Moreward, il partagerait ma manière de voir. »

    « Que se passe-t-il donc entre vous, demanda mon ami avec sympathie. Puis-je vous être de quelque utilité ? » Elle lui jeta un regard de gratitude. « Eh bien oui, il y a entre nous des difficultés... voyez-vous... » « Il s'agit de choses proprement absurdes ! Ce sont des difficultés très arrangeables, mais la vérité est que tu es une faiseuse d'embarras », dis-je en riant, pour tempérer ce que cette remarque avait de peu aimable. « Voyez-vous cela ! Ces frères ne vous flattent pas volontiers, n'est-ce pas ? » dit Moreward d'une voix apaisante. « Oh ! il est très malhonnête », dit-elle froidement. « La difficulté est, repris-je, que Gladys hait l'idée du mariage, et ne peut se résoudre à se lier ; pourtant elle aime cet homme et désire son amour.

    La question des fiançailles ne pouvant, selon elle, se poser, elle trouve que leurs relations devraient être absolument platoniques. Qui plus est, elle ne veut même pas avouer qu'elle aime cet homme, croyant que ce minimum de concession ne serait pas convenable! » Moreward rit avec une visible indulgence. « Ne trouvez-vous pas que j'ai raison? » dit-elle, en appelant à - lui. « Pas précisément. » Il souriait avec bonté.  « Que t'ai-je dit? » fis-je, de nouveau triomphant.

    « Mais, vraiment, Monsieur Haig, reprit-elle, persuasive, cela ne se fait pas, du moins pas dans la société que je fréquente. Nous ne sommes pas des bohèmes, pour user de telles licences! » « Mais que devient, dans tout cela, l'infortuné amoureux? » dit-il, en la regardant paternellement. « N'est-il pas traité bien durement? » « C'est pure cruauté! » m'écriai-je. Ma sœur réfléchissait. « Elle ne veut pas décourager cet homme, dis-je, tourné vers Moreward, mais elle ne veut pas non plus lui accorder la moindre marque d'amour. J'appelle cela du flirt - et de la pire espèce! »

    « Je n'ai jamais flirté de ma vie », déclara-t-elle. « Ne serait-ce pas, quand même, une forme de flirt, suggéra doucement Moreward, mais si insidieux, qu'on peut se croire dispensé de lui donner ce nom? » « Ce qui le rend d'autant plus répréhensible », ajoutai-je.

    Ma sœur semblait déroutée. « Je ne comprends pas très bien », dit-elle. « Eh bien, expliqua-t-il sur un ton de grande cordialité, si vous exigez d'un homme les preuves de son amour sans rien lui donner en retour, en lui imposant, par ailleurs, le supplice de Tantale de votre présence tout en sachant qu'il souffre par vous, - n'est-ce pas ce qu'on peut appeler une insidieuse forme de flirt? » Ma sœur gardait un silence embarrassé. « Je sais, poursuivit-il, que flirt est un terme ambigu, et que l'on nomme souvent ainsi ce qui, à mes yeux, n'en est pas.

    Ainsi, deux êtres peuvent s'aimer très sincèrement, se le montrer ouvertement, sans avoir aucune intention de mariage de part ni d'autre ; ceci n'est, à proprement parler, pas du flirt, car si les intentions ne sont pas matrimoniales, elles sont du moins claires.

    D'autre part, quand deux êtres cherchent à éveiller l'un chez l'autre des sentiments qui ne serviront qu'à satisfaire leur vanité respective - puisqu'ils n'aiment pas - on peut sans nul doute appeler cela du flirt, chacun réclamant, d'une façon déguisée, une chose pour laquelle il ne donnerait rien en échange. » « Mais cela ne s'applique pas à mon cas! » protesta-t-elle. « Hum! examinons la situation d'un œil un peu critique. En permettant à Gordon de vous voir autant qu'il le veut, vous lui donnez à supposer que vous l'aimez, n'est-il pas vrai? Vous faites naître en lui des espoirs que vous ne comptez réaliser ni sur le terrain du mariage, ni d'aucune autre manière. Le résultat, je le crains, c'est qu'il souffre. En d'autres termes, chère amie, en demandant beaucoup et ne rendant rien, n'achetez-vous pas votre plaisir au prix de son tourment? » « Mais, aux yeux du monde... » commença-t-elle. « Les opinions du monde, interrompit-il doucement, sont basées sur l'égoïsme et la vanité, et non sur l'altruisme et l'amour. » « Ma chère Gladys, intervins-je, il est bien inutile de te défendre ; ta conduite est celle d'une flirteuse et d'une orgueilleuse - et plus tôt tu le comprendras, mieux ce sera. » «Ne vaudrait-il pas mieux être tout à fait loyale avec cet homme? poursuivit Moreward, et lui dire que vous l'aimez, mais que vos idées sur le mariage vous empêchent de vous unir à lui ?

    Ceci aurait non seulement l'avantage d'être honnête et direct, mais encore de lui laisser le choix de vous quitter ou de se contenter de votre façon d'aimer. » « Mais, cela n'est pas possible, objecta-t-elle, car, alors, il voudrait tout de suite m'embrasser! »

    « Tu es la plus stupéfiante mijaurée que j'aie jamais connue, m'écriai-je rudement, ta fatuité est simplement phénoménale - et tu es calculatrice par-dessus le marché! Tu tiens un homme, qui soupire après toi, éternellement suspendu entre l'espoir et le désespoir pour la seule satisfaction de ta folle vanité! Comment peux-tu être assez mesquine pour ne pas lui avouer au moins ton amour et pour lui refuser un baiser qui le mettrait au septième ciel!...

    » Moreward me lança un regard qui ressemblait beaucoup à de l'approbation, mais les yeux de ma sœur étaient pleins de colère.

    « Asseyons-nous, dit Moreward, et admirons la vue. »

    Nous nous allongeâmes dans l'herbe ; je remarquai alors qu'il étudiait le visage de ma sœur d'un certain air méditatif.

    « Voyez-vous, dit-il, au bout d'un moment, il y a deux sortes de vertus: les vraies et les fausses.

    Les fausses dérivent de la vanité, les autres du désintéressement ; mais, pour des yeux superficiels, elles ne sont pas faciles à différencier, car elles se ressemblent beaucoup.

    Chère Miss Gladys, vous me pardonnerez, j'espère, d'user d'un mot cru: l'attitude que vous adoptez à l'égard de Gordon, si correcte et si louable qu'elle puisse paraître du point de vue mondain, est, si on la regarde du point de vue spirituel... du pur égoïsme.

    En examinant votre aura, au lieu de la trouver large et expansible, je la trouve rétractée et circonscrite. J'y vois, de plus, l'indication que vous avez vécu le même petit drame, avec cet homme précisément, dans plusieurs existences antérieures, que chaque fois il en est résulté beaucoup de souffrance et qu'au lieu de tirer la leçon de cette souffrance, vous n'en avez pas tenu compte, en sorte que vous devez revivre le même drame dans cette vie-ci.

     

    L'amour est un lien qui ne se relâche pas entre deux êtres à travers leurs incarnations successives: encore faut-il, pour qu'il leur donne le bonheur, qu'il soit noble et désintéressé ; sinon, ce lien cause le malheur plutôt que la joie, ainsi que le démontre votre cas. Votre propre attitude, que vous semblez si peu encline à modifier, est la seule cause du mal. Ce qui est arrivé autrefois doit, je le crains, se passer une fois de plus: car, dans les vies passées, je vous l'ai dit, cet homme vous a chaque fois aimée et chaque fois quittée, renonçant à tout dans son désespoir, parce qu'il avait cherché en vous de la grandeur d'âme, - et s'est trouvé, en fin de compte, désillusionné. »

    Comme toujours, lorsqu'il abordait de tels sujets, Moreward s'abandonnait à une sorte d'harmonieuse éloquence, qui lui était très personnelle, et dont je déplore de ne pouvoir donner une idée moins imparfaite. « Voyez-vous, reprit-il, avec une chaleur mêlée de douceur, en toute cette affaire, vous avez suivi les strictes conventions du monde, sans vous demander si elles étaient justes ou erronées, basées sur l'égoïsme ou sur la noblesse d'âme ; ici, comme ailleurs, vous avez estimé qu'un principe était juste parce que le monde le proclamait juste, mais vous avez omis de vous demander s'il était juste en lui-même.

    Or, les lois et les conventions mondaines s'inspirent de règles qui ne tiennent pas compte des exceptions, ni des circonstances individuelles. Un acte bon en certains cas est parfaitement mauvais en d'autres cas ; aussi la stricte observance des conventions humaines peut-elle être parfois répréhensible au regard de Dieu. Se faire esclave de règles que nous savons, au fond de notre âme, n'être pas équitables, ce n'est pas vertu, mais bien lâcheté et vanité déguisées, -sentiments qu'il est indigne de mêler à l'amour vrai et pur, lequel est, par essence, oubli de soi.

    Et lorsque cette soumission au dogme de la bienséance est non seulement vanité, mais qu'elle doit encore faire souffrir un innocent aux intentions droites et honorables, - ne faut-il pas doublement s'y refuser ?

    Car l'amour qui ne tient pas compte du bien de l'être aimé n'est pas de l'amour, mais la mascarade de l'amour ! »

    Il s'arrêta, regarda ma sœur d'un air de bonté persuasive et, posant la main sur son bras: « Maintenant, comme en toute chose, il s'agit de choisir: lequel, donc, est le plus doux à ressentir - l'orgueil ou l'amour? Est-ce vraiment la peine de laisser le puéril et le transitoire prendre la place de ce qui dure, et la médiocre illusion recouvrir la grande réalité? L'orgueil, en effet, n'est qu'une illusion, l'orgueilleux attachant invariablement son orgueil à des choses qui n'en sont pas dignes - et l'oubliant là où il serait le mieux à sa place. Vous, comme tant d'autres, mettez votre fierté à cacher au lieu d'avouer, à faire montre d'un cœur froid plutôt que d'un cœur aimant. Or, une seule de ces choses vaut-elle tant d'orgueil? Ne sont-ce pas des erreurs qui font figure de vertu? Oui - des erreurs, en dépit de tout ce que le monde peut dire. Car l'avarice du cœur est aussi laide que  celle de la bourse: s'enorgueillir de l'une ou de l'autre, c'est se louer d'être faible et insensé parce qu'on est incapable d'être sage, c'est-à-dire fort. »

    Cessant de parler, Moreward regarda ma sœur avec une sorte de doux appel dans les yeux. « Le bonheur d'un homme est en jeu, et votre propre bonheur également ; c'est là mon excuse pour avoir un peu prêché, fit-il d'un ton d'apologie. Bien que votre amour ne soit peut-être pas très intense, vous aimez Gordon autant que vous êtes capable d'aimer actuellement ; vous souffrirez donc si vous le perdez - ce qui, je le crains, sera prochainement le cas...

    Et, maintenant, assez de philosophie morale pour un jour! Nous allons manquer le coucher du soleil derrière les collines - spectacle qui comporte aussi son genre de philosophie! »

    Si convaincante que fût (pour moi du moins) l'éloquence de Moreward, son intervention en cette circonstance, comme en mainte autre, arrivait trop tard, car l'orgueil de ma sœur était le plus fort. Si coupable qu'elle pût se sentir dans son cœur, elle se montra incapable de changer d'attitude. Nous avions, à vrai dire, perdu de vue cet incident, lorsque environ un mois plus tard, Moreward me tendit une lettre de Gladys, ainsi conçue:

    « Cher Monsieur Haig, je suis très malheureuse, et quoique j'aie été assez stupide pour ne pas suivre vos conseils, je suis sûre que, malgré mon apparente ingratitude, vous voudrez bien venir à mon secours. Gordon m'a quittée - comme vous l'aviez prédit. a tout simplement dit qu'il ne pouvait plus endurer cette situation, et qu'il préférait ne pas me revoir.

    Je lui ai écrit à plusieurs reprises, mais il ne répond pas, et je crains qu'il n'y ait aucun espoir que les choses s'arrangent.

    Ce serait pour moi un immense réconfort si je pouvais m'entretenir avec vous... Je suis sûre que vous me pardonnerez de vous importuner ; je sais que vous êtes toujours prêt à venir en aide à ceux qui souffrent. Mon affectueux souvenir et très sincèrement à vous,

    Gladys Broadbent.

    « Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir, cela va sans dire, dit-il, quand j'eus achevé la lecture de cette lettre ; mais je crois que vous feriez bien d'avoir un entretien avec le jeune homme pour vous rendre compte de ses véritables intentions. » « Je constate que vous avez gaspillé votre philosophie à l'endroit de Gladys, remarquai-je, et jeté des perles devant... le mot est peu flatteur! »

    « Un peu de philosophie n'est jamais entièrement perdue, même auprès de non-réceptifs, repartitil en souriant. Quoique votre sœur soit appelée à souffrir pour avoir tout exigé et rien donné (persuadée qu'elle était qu'amour est faiblesse et vanité vertu) elle aura cependant acquis une lueur de compréhension, pressenti le pourquoi de sa souffrance, et en fera, par conséquent, son profit.

    Elle n'ajoutera du moins plus à ses erreurs celle de blâmer Gordon au lieu de s'en prendre à elle-même, et, pendant le reste de sa présente existence, elle apprendra peut-être que l'essence de l'amour c'est de se donner, et non de se garder, ni d'avoir toujours les yeux fixés sur soi-même. Lorsqu'ils se rencontreront dans une prochaine incarnation, - ce qui ne peut manquer d'arriver - ils tomberont amoureux l'un de l'autre une fois de plus ; alors ce petit supplément d'expérience sera d'un grand secours à votre sœur et ce qui, aujourd'hui, est assombri par la douleur, sera, demain, pénétré de compréhension et de bonheur. »

    Résultat de recherche d'images pour "image dessin en noir et blanc XXème siècle"

    Pierre Louchel, XXème siècle. Elégante assise, 1945.

     

     Vous trouverez la suite de "L'initié et son élève" en cliquant ICI au Chapitre XV à XIII dans cet espace.

     Bonne Lecture chers amis,

     Colinearcenciel.

     

     

     


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  • Le IIIème oeil

    Je suis un Tibétain, l'un des rares individus de ma race à être parvenus jusqu'à ce monde étrange qu'est l'Occident. La composition et le style de ce livre laissent beaucoup à désirer : On ne m'a jamais donné de véritables leçons d'anglais (1). Ma seule « école » a été un camp de prisonniers japonais ; des malades, des femmes britanniques et américaines, prisonnières comme moi, m'ont enseigné leur langue ; j'ai appris de mon mieux. Pour ce qui est d'écrire l'anglais, j'ai procédé par tâtonnements. Mon pays bien-aimé est actuellement occupé par les troupes communistes : la prophétie est accomplie. C'est uniquement pour cette raison que j'ai déguisé mon nom et celui de mes relations. J'ai beaucoup lutté contre les communistes et je sais ce que mes amis auront à subir si mon identité peut être établie. Je connais aussi par expérience personnelle la puissance de la torture. Tel n'est pas cependant le sujet de ce livre, consacré à un pays pacifique si longtemps méconnu et présenté sous un faux jour.

    LE TROISIEME OEIL de Lobsang Rampa

    https://www.lobsangrampa.org/books/fr/Le-Troisi%C3%A8me-Oeil.pdf

     

    DANS LA LUMIERE de Lobsang RAMPA

    ftp://www.jacquesfortier.com/RampaTestament20Debut36p.pdf

    La première fois que j’ai rencontré Lobsang Rampa, c’était à Londres, en 1954, avant qu’il n’écrive Le troisième œil et qu’il ne devienne célèbre dans le monde entier. A l’époque je vivais au cœur de Londres avec mon mari et nos deux jeunes enfants dans une jolie maison de style Régence sur Bayswater Road, face à l’entrée Nord des Jardins de Kensington, qui partent du coin de Hyde Park et s’étendent jusqu’à Notting Hill Gate. Lobsang Rampa s’appelait alors Dr Carl Ku’an, et il me raconta plus tard que la première fois qu’il me vit, ce fut un jour où je faillis l’écraser dans la rue Kensington Church. Je n’ai absolument aucun souvenir de cet incident où il faillit perdre la vie ; je ne l’ai tout simplement pas vu. A cette époque il était parfaitement possible de traverser Londres à toute allure, et c’est ainsi que je conduisais ma petite voiture.

    A lire

     

    Aftp://www.jacquesfortier.com/RampaTestament20Debut36p.pdf

     

    LIEN ci-dessous

    Lobsang RAMPA

     

     


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    Le mur de lumière

     

    Nicolas Tesla

    Le mur de lumière

    Voici un document vidéo sur cet inventeur et ci dessous un document vidéo sur cette page et le lien d' un livre écrit par lui et Matthews Arthur. Il suffit de cliquer sur les liens en bleu ou violet. Bonne écoute et bonne lecture à vous qui passez par ici.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Auteurs : Matthews Arthur - Tesla Nikola
    Ouvrage : Le mur de lumière
    Année : 1971

    Lien de téléchargement : Matthews_Arthur_-_Tesla_Nikola_-_Le_mur_de_lumiere.zip

     

     


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    Un livre unique et particulier : page 9, 10, 11, 12

     

    LA VIE DES MAÎTRES de Baird Spalding.

    Il se trouve en PDF mais, je mets le lien mais aussi tout le texte car, ce livre est réellement unique dans la littérature mondiale. Ce livre comporte 721 pages : je mettrai la table des matières après ainsi que le lien. J'espère qu'il s'agit de la version originale comportant des photos. Lors de mon adolescence, j'ai surtout lu des grands classiques. A l'âge de 25 ans, j'ai lu un livre durant dix années tous les soirs avant de m'endormir ou après ma journée de travail en soirée. Je n'ai lu aucun livre tibétain avant de rencontrer le Rinpoche Lama Karta boddhisattva et j'ai acquis simplement les Cent mille chants de Milarépa qui me furent d'ailleurs offerts : je n'ai pas lu entièrement cet ouvrage édifiant. J'ai lu et récité des mantras tibétains avec le bon accent car avant de le lire je le chantais en méditation sans avoir appris le tibétain et sans comprendre les paroles en français. Par la suite, j'ai très peu lu mais surtout écrit : ma vie étant déjà dense et particulière et il me fut conseillé d'écrire plutôt que de lire. Cependant, je lis de temps en temps des passages et ce livre ci reçu par une personne hautement spirituelle et avancée. L'autobiographie d'un yogi de Paramahamsa Yogananda qui devient pour moi très familier et agissant dans un monde spirituel : très actif car, il faut trahi en fin du siècle passé et début de ce siècle par ceux qui soit disant le remplaçait. Cependant tout comme chez les tibétains Kagyu l'enseignement des yogas peut également se faire par télépathie aux âmes sensibles et de manière directe ou acquise de par une ou des vies antérieures. Voyez vous, les techniques existantes, selon le terme du boddhisattva Jésus Christ "il ne faut pas donner de perles aux pourceaux" dans ce monde hyper matérialiste, il serait fait grand tort de livrer par écrit des pratiques très poussées du fait des nombreuses manipulations mentales à des fins de lucre et de manipulation. La vie étant dénaturée dans cette période de Kaliyuga : les enseignements arrivent aux oreilles qui entendent et aux yeux qui voyent : rien de se force : pas un souffle de vent sur le lac de la liberté sereine où tous les éclats du soleil et des astres brillent sur l'eau calme.

    Baird Spalding écrit son livre bien longtemps après avoir vécu l'expérience qu'il décrit, plus de dix années après car, évidemment, son histoire semble incroyable et pourtant... Chacun y puisera quelque chose d'inoubliable. Je reprendrai des passages qui me semblent importants. Je pense cependant, qu'il fut influencé, vers la fin de son livre lorsqu'il en fait une théorie mais la longue partie racontant les faits sont extrêmement intéressants. Je ferai la même chose avec des passages des livres d'Alexandra David O'Neel si le temps est possible et pour les cent mille chant de Milarépa. Chaque chose à la fois car ici nous avons beaucoup à découvrir. J'espère que vous serez nombreux à le relire avec moi et à le méditer.

    ©Colinearcenciel

    Voici les pages 9 à 12..

     

    Un livre unique et particulier

     

    L’Homme ne crée rien, il n’apprend qu’à exploiter que ce qui existe déjà !
    La vie des maîtres
    Ce livre a été écrit au début du XXème siècle. Anticipant sur les progrès spirituels indispensables pour éviter l’effondrement de notre civilisation matérialiste à outrance, ce livre a pu paraître une pure fiction, mais depuis lors les esprits ont assez évolué pour le prendre plus au sérieux.


    La Vie des Maîtres a été ensuite traduite par un polytechnicien, Jacques Weiss, sous le pseudonyme de Louis Colombelle, et a connu une très grande audience auprès d’un public désireux de progresser dans une voie alliant la science et la religion. En raison de son actualité, nous nous faisons un plaisir d’en présenter une nouvelle édition pour satisfaire es nombreuses demandes des chercheurs.


    Quand vous fermerez La Vie des Maîtres, et si vous désirez approfondir les énigmes offertes à vos méditations, le traducteur se permet de vous signaler un autre ouvrage qu’il a traduit plus récemment intitulé La Cosmogonie d’Urantia. Il apporte aux habitants d’Urantia (notre planète) la connaissance du cosmos (univers) avec son nombre prodigieux de planètes habitées.
    Vous y trouverez une réponse valable au grand problème de l’humanité : Pourquoi sommes-nous sur Terre et quelle est notre destinée ? 

    Préface du traducteur
    C’est en 1928 que M. Paul Dupuy, alors directeur du journal Le Petit Parisien, me fit cadeau de l’édition originale américaine de La Vie des Maîtres. Ce livre me passionna au point que je ne songeai guère à manger ou à dormir pendant les trois jours nécessaires à sa lecture initiale. J’écrivis ensuite à l’auteur et aux éditeurs sans jamais obtenir de réponse, malgré les efforts conjugués d’amis américains durant de longues années.
    J’avais traduit le livre en 1937, et j’avais fait circuler une douzaine de copies dactylographiées. Sachant par cette expérience que le public français lui ferait bon accueil et en avait réellement besoin, je publiai en 1946 la première édition sans l’autorisation de Spalding en me disant que le seul risque encouru consisterait à lui régler le pourcentage d’usage, ce que j’étais tout prêt à faire.
    Un an plus tard en 1947, après dix-neuf ans de patience je me trouvais seul dans mon bureau de Paris quand une voix du monde invisible m’informa que si je partais sans délai pour les États-Unis, j’y rencontrerais Spalding et que si je n’y allais pas, l’occasion serait manquée pour le reste de ma vie. La voix se répéta trois jours de suite à la même heure, avec une autorité qui m’imposa la conviction qu’elle était supra-humainement valable. Je fis alors un grand acte de foi et partis par le premier avion disponible.


    Je ne devais pas être déçu. Une étonnante suite de coïncidences « fortuites » me valut rapidement de rencontrer Spalding à New-York, de le présenter à mes amis sceptique et de passer une bonne semaine avec lui. Il approuva la publication de ma traduction française en posant comme seule condition que je répondrais à tout le courrier de langue française et que je recevrais toutes les personnes réellement intéressées.


    Depuis lors, quatre éditions se sont succédé et m’ont valu un important courrier. L’une des questions le plus souvent posées est la suivante : « Le livre est-il une fiction ou la narration d’un voyage réel ? » À quoi Spalding répond systématiquement : « Que chacun prenne dans mon livre ce qui est bon pour lui et croie ce qui est approprié à son degré d’évolution. »

    Étant ingénieur et habitué à contrôler chaque fois que possible la matérialité des faits concernant les notions nouvelles, je fis une étude des trois principaux modes de preuves, la preuve matérielle, la preuve par témoins, et la preuve par l’esprit et je décrivis dans la préface de la quatrième édition l’importance majeure de la preuve par l’esprit. En ce qui concerne La Vie des Maîtres, ma première estimation fut que les trois modes de preuves coïncidaient en faveur de la véracité du récit.


    Mais peu à peu un doute s’insinua dans mon esprit. Après tout je n’avais pas d’autre preuve matérielle que l’existence d’un réseau de personnalités dont l’une m’avait guidé vers l’introuvable Spalding. Quant à la preuve par témoin, je n’en avais pas, puisque Spalding refusait d’affirmer formellement la véracité de son récit Il m’avait bien dit que si j’allais aux Indes, je trouverais les traces de son passage chez un Maître habitant dans les montagnes près du port de Cocanada, sur le golfe du Bengale.


    La Vie des Maîtres avait pris une telle importance dans ma pensée que je formai le projet d’aller contrôler sur place l’affirmation de Spalding. Il me fallut encore dix ans de patience pour que l’occasion se présentât de réaliser ce projet soit vingt-neuf ans depuis ma première lecture du livre et mon premier désir de participer à une aventure semblable. Un jour, je pris un repas à Paris avec un Français âgé qui avait été aux Indes et me dit qu’il connaissait Cocanada qu’il y avait rencontré des Maîtres et que, si j’y allais, un homme en blanc viendrait me guider, et que cet homme serait Jast ; l’un des Maîtres décrits dans le livre.


    Quelques mois plus tard, vers la fin de 1957, je décidai de tenter l’aventure en abandonnant ma vie d’affaires pendant deux mois. Je pris mon billet à l’agence Cook comme un touriste quelconque, avec un itinéraire faisant le tour des Indes de Bombay à Bombay en passant par les Himalayas et Cocanada. Une dizaine de jours après mon arrivée dans ce sous-continent où je ne connaissais strictement personne, plusieurs hasards heureux et des coïncidences inexplicables m’avaient déjà valu de rencontrer de grands yogis fort remarquables. Je compris qu’un réseau d’entités invisibles était à l’oeuvre pour me guider, et je me laissai faire en observant de mon mieux tous les signes rencontrés en chemin. J’eus par exemple la chance d’être reçu par le principal collaborateur du Dalaï-Lama dans un temple d’une contrée exclue de mon passeport Je fus également reçu en audience par l’un des quatre papes des Indes le Sankaracharia de Kanchi, dont j’ignorais absolument l’existence avant de quitter la France. En ce qui concerne Cocanada, l’homme en blanc vint me trouver une heure après mon arrivée et s’occupa de moi pendant la majeure partie de la semaine.

    Quand je lui demandai qui l’avait guidé vers moi il me répondit simplement : « C’est naturellement Dieu. » Je ne pus tirer aucune autre réponse de ce personnage annoncé à Paris comme devant être Jast ; et qui était le plus beau caractère qu’il m’ait jamais été donné de rencontrer sur notre planète. Il se présenta sous le nom de Krupa Rao et me conduisitdans les montagnes du voisinage auprès d’un grand Yogi chef d’un Ashram. Ce grand Yogi me reçut, fort amicalement en me demandant si je resterais dix jours ou dix ans avec lui pour apprendre à transcender la pensée humaine et à entrer dans l’extase du samadhi. Je fus bien obligé de répondre que mon taxi m’attendait ; que je n’avais aucun bagage avec moi, et que mes obligations familiales et professionnelles me contraignaient à rentrer bientôt en France. J’acceptai toutefois son hospitalité jusqu’au lendemain, 1er janvier 1958, et je passai sous son toit une fin de journée et une nuit exquises. Il avait connu Spalding et me montra des documents rappelant son passage vers 1935. 

    La présente préface étant destinée à aider le lecteur à se faire une opinion sur la véracité littérale du récit de Spalding plutôt qu’a raconter les détails de mon voyage, je précise bien que je n’ai jamais vu de personnes se dématérialiser ou se rematérialiser sous mes yeux. Cependant, je suis intimement persuadé que ce genre de chose est possible. Nos traditions en  relatent beaucoup. Citons entre autres l’apparition de l’Ange de l’Annonciation à Marie mère de Jésus et à Elisabeth mère de Jean le Baptiste, la venue sur terre de Melchizédek au temps d’Abraham ; les anges qui roulèrent la pierre scellée fermant le tombeau de Jésus ceux qui ouvrirent de manière surnaturelle les portes des prisons des Apôtres Pierre et Paul, sans compter ceux qui se manifestèrent simplement par leur voix à Jésus ou à Jeanne d’Arc.
    Il se peut que des scènes de ce genre aient été montrées à Spalding par des êtres susceptibles d’élever sa vision jusqu’au plan astral ou de l’aider à entrer en extase, ou de provoquer chez lui des rêves, ou simplement de lui raconter des récits dont il prenait note, ou encore de le renseigner.

     

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