Sur l'eau la jonque
Sur l'eau la jonque aux larges passavants ceinturés par un pavois
Son plan de dérive très allongé
Mouillée en surface large Surplombé de lattes d'Iroko
Elle glisse en eau douce sous le rouge soleil crépusculaire
La jonque glissant sur le large fleuve aux eaux équatoriales
Le calice renversé de la voûte subliminale éthérique
Au couchant, elle glisse sur l'eau la jonque
Une femme assise à même le pont, pensive
Cheveux longs, peignés par la brise,
Les mèches tremblantes et mouillées
Le visage ambré stoïque
Allumé de lueurs profondes en yeux noirs, ébène
Marbre, visage de velours, bouche tendre et close
Au loin à l’arrière, éclairs de feu aux poudres de canons
S’évaporent en amas de fumées noires dans le ciel orangé
C’est au flux de l’eau qu’elle avance la jonque
La jonque de la femme assise
Au creux de ses jambes croisées
Un tout petit dort étoilé ; dont le père massacré
Par dessous les fumées derrière, gît ;
Sa mère figée sur le pont
Fixe le regard vers nulle part
Va, s’en va la jonque sur l’eau huileuse aux éclats de rubis
A droite, au loin des gémissements et des feux jaillissants
Foudroyants, des silhouettes se noyant sur la ligne
Du rivage confondue..
Glisse, glisse la jonque
Au courant du fleuve pur sang tout au milieu, elle glisse
Elle fut poussée par quelques hommes la jonque
Arrimée au rivage, portant cette femme au nouveau né
D’autres devaient s’y précipiter pour s’y sauver...
La miraculée berceuse au petit se mit à chanter
D’une voix douce, un murmure de sons mélodiques
« Va la jonque, ma survivance ; va loin de tous les miens
Va la jonque emportes-moi loin, au plus loin qui soit
Emportes-nous, le petit n’a pas froid
Lui, il les a coupé les sirokos qui nous emportent et nous
Sauvent-
De ses lèvres adorés il me tendit de ses bras
De tendresse notre fruit d’amour
Toi mon petit, criant de sa voix que toujours j’entendrais :
" Va mon amour, jamais je ne te quitterai "
Tandis qu’il s’effondra dans les lueurs du soleil rouge
Elle se tut, la femme au visage ambré qui tenait son bébé
Et puis s’échappa de ses lèvres un cri plus fort que toutes les détonations
Un hurlement long en plénitude aussi large que le fleuve et les collines l’entourant
Le ciel devenu noir, une étoile se mit à trembler
Au son de cette voix
La lune pleine, béate en sa face ressemblait à la mort !
La nature comme en écho se mit à pleurer et à gémir
En coups de tonnere assourdissants d’orage !
Ses larmes pleuvaient sur cette femme et son bébé
Protégé qu’il fut par un pan de sa robe ample orangée comme le ciel d’auparavant.
Elle tendit les bras vers le ciel et psalmodia :
« Foudre, foudroyes-moi » durant un temps infini...
Et c’est au terme de la nuit
Aux douceurs du pastel des aurores qu’elle s’endormit...
La jonque au milieu du fleuve ne bougeait plus
Un rocher bloquait son avancée
Elle vit sur un bateau une horde de soldats fous
Ils s’approchaient vociférants tels des êtres infernaux
Fusils pointés-
Alors, la femme qui vit cela
Prenant son enfant dans les bras
Lorsqu’ils furent à quelques mètres d’elle
Elle leur cria : » Merci la mort que tu es belle !
Approches, utilises ces soldats je te veux !"
Le silence lui répondit violemment
Comme une épouvantable giffle !
Le soleil aveugla d’un rayon impitoyable le visage de ces égarés
Et Le vent fit dévier la jonque qui repris sa route
La femme s'effondra sur le sol avec une lenteur langoureuse, recroquevillée sur son enfant
Et dans un souffle elle reprit son chant :
« Mon bien aimé, je ne sentirai plus l’étreinte de tes bras
Ta force et ton courage, tes baisers sur ma peau »
« Où es tu ? » psalmodiant cette phrase indéfiniment
Jusqu’à l’épuisement
Les yeux clos, là au milieu du fleuve sur la jonque
Elle senti un vent léger sur son visage et la fraîcheur d'un souffle
A son oreille, et de la voix douce du bien aimé, elle entendit :
« Ils ne m’ont pas tué »
©ColinearCenCiel, Novembre 2004